Frais professionnels des magistrats de la Ville de Genève : "Tous pourris (sauf moi)" ?


Dernière nouvelle du front (on va faire semblant de croire que c'en est un) de la polémique sur les notes de frais des conseillers administratifs de la Ville de Genève : une procédure pénale est ouverte contre inconnu pour "gestion déloyale des intérêts publics" (cette procédure pénale suspend toute procédure disciplinaire), les bureaux de quatre Conseillers administratifs ont été perquisitionnés, le Conseil administratif a publié les notes de frais de tous ses membres depuis dix ans (y compris Manuel Tornare, Patrice Mugny et Pierre Maudet...) et le Conseil d'Etat annonce qu'il "sera transparent sur ses notes de frais". "Sera"... il ne l'était donc pas ? Enfin, ne boudons pas notre plaisir de constater que tout le petit monde politique genevois réclame désormais la transparence du financement des activités politiques. Même la droite ? même. On ne doute donc pas qu'elle finira par soutenir l'initiative populaire pour "plus de transparence dans la vie politique", que, comme le Conseil fédéral, elle rejette actuellement totalement...

Quand on demande aux autres d'être exemplaires et transparents, il convient de l'être soi-même

"Cette crise ne porte pas sur des aspects politiques mais sur des attitudes personnelles", résume Sami Kanaan. Et on est d'accord avec not'bon Maire. En notant que pendant qu'on s'épanche sur les notes de frais des magistrats municipaux, on ne fait rien de plus utile (car il y a plus utile) et on ne décide de rien de plus important (car il y a plus important). Et on oublie que les partis présentent des candidates et candidats au Conseil administratif, et les y font élire (quand ils y arrivent) pour qu'ils y fassent un travail d'hommes et de femmes politiques, pas de commis de bureau chargé de tamponner les tickets de bistrot de leurs collègues... Mais au fond, l'ambition ultime de l'UDC et du MCG ne serait-elle d'avoir eux aussi droit à des magistrats perquisitionnés et mis sous enquête ? Et celle du PLR de noyer le poisson Maudet pour donner un peu d'air au goujon Brandt  ? Et celle d'"Ensemble à Gauche" de... euh... on voit pas vraiment... de régler un vieux compte avec son propre magistrat ?

"Il est nécessaire et urgent de fixer des règles et un cadre beaucoup plus strict à la gestion des frais professionnels des membres du Conseil administratif", écrit le PS dans un communiqué. Un cadre législatif un peu plus clair semble en effet s'imposer. Le Conseil administratif a de lui-même adopté un nouveau règlement, que la majorité de ses membres a refusé dans un premier temps d'appliquer rétroactivement à dater de leur élection comme le proposait Sami Kanaan (seule Sandrine Salerno a soutenu cette proposition...), pour finir par se résigner à l'accepter. Le Conseil Municipal pourrait toutefois édicter un réglement de sa propre initiative -toutefois, un tel règlement, adopté par le parlement et non l'Exécutif, devrait non seulement recueillir une majorité pour être adopté, mais pour être de surcroît légitime, sinon une unanimité, du moins une plus large approbation que la moitié des votes plus un. Ce qui devrait être possible : Le Bureau du Conseil Municipal (où tous les partis sont représentés), dans un communiqué diffusé après une réunion extraordinaire samedi dernier, déclare avoir pris connaissance "avec consternation" du rapport de la Cour des comptes. Il constate "avec colère" que les membres du Conseil administratif "ne s'appliquent pas la rigueur et la transparence pourtant exigée des collaborateurs et des administrés de la Ville". Il demande à la Cour des Comptes d'étendre son audit (limité à l'année 2017, sous réserve de contrôles "inopinés") sur une période de dix ans, et "exige de l'Exécutif de la Ville une application rapide des recommandations de la Cour des comptes" (sous-entendu : toutes les recommandations, y compris les trois refusée par le Conseil administratif). Il attend de la Commission des Finances (qui a déjà été saisie de la question) du Conseil municipal et des partis politiques "de prendre toutes les mesures qu'ils estimeront nécessaire pour mettre fin à ces pratiques inadmissibles". Et il a décidé de faire consacrer toute la séance du Conseil municipal d'aujourd'hui à l'"affaire". On sent venir une grande soirée de gesticulations et de déclamations. Bon, ça défoule, mais si rien n'en sort qu'une lourde impression de règlement de comptes et de compensation des frustrations, on n'aura évidemment rien fait d'utile, sinon jouer les écrevisses virginales dans un panier de crabes corrompus. Et toucher des jetons de présence pour une séance où on entendra hautement proclamer : "tous pourris, sauf moi !"... et où on entendra prêcher des représentants de partis qui refusent la transparence de leur financement prêcher la transparence des dépenses des élus municipaux... des autres partis.

Mais si le Conseil Municipal tient à se draper dans une vertu qu'il ne soit pas seul à se reconnaître, il ne tient qu'à lui de donner l'exemple, et de renoncer au précepte "faites ce que je dis, pas ce que je fais", en décidant de publier sur le site internet public de la Ville les décomptes de jetons de présence et de prise en charge (abonnements TPG, connexions internet, repas) et de prestations en nature de chaque conseiller-e... toute transparence qu'avec la cohérence qui le caractérise, le Conseil Municipal ne pourra qu'accepter (puisqu'on la lui proposera) pour lui-même sans rien changer des termes par lesquels la Cour des Comptes recommande au Conseil administratif "de publier annuellement la rémunération de ses membres en y incluant les autres prestations perçues", recommandation dont la Cour considère, fort justement, qu'elle devrait "notamment permettre de répondre à l'inadéquation de la "culture éthique" et de restaurer la confiance en augmentant la transparence envers les citoyens"...

Après tout, quand on demande aux autres d'être exemplaires et transparents, il convient de l'être soi-même, non ?

Commentaires

  1. Et donc : PROJET D'ARRÊTÉ


    Exemplarité et cohérence dans la transparence

    Considérant :

    - l'exigence croissante de transparence (et donc de publicité) du financement de la vie politique et de ses acteurs;

    - l'exigence, conséquente de la précédente, de la transparence (et donc de la publicité) de la rétribution et de l'indemnisation des élus, et de la prise en charge de leurs dépenses par la collectivité;

    - la légitimité de ces exigences dans un Etat de droit et une démocratie;

    - la nécessité de la cohérence dans l'expression et la mise en œuvre de ces exigences, et donc de leur réciprocité;

    - l'évidence que cette expression et cette mise en œuvre ne sauraient être crédibles que si les instances et les acteurs qui les expriment et les exigent des autres les respectent et se les appliquent eux-mêmes à eux-mêmes;

    - et que donc les conseillères et conseillers municipaux ne peuvent que s'appliquer à eux-mêmes la 10ème recommandation de la Cour des Comptes : "(...) de publier annuellement la rémunération de ses membres en y incluant les autres prestations perçues", recommandation dont la Cour considère, fort justement, qu'elle devrait "notamment permettre de répondre à l'inadéquation de la "culture éthique" et de restaurer la confiance en augmentant la transparence envers les citoyens",

    Le Conseil Municipal arrête

    1. Les décomptes de jetons de présence de chaque conseiller-e municipal-e sont publiés dès leur établissement sur le site internet en accès public du Conseil Municipal;

    2. Les prises en charge par la Ville de Genève des abonnements TPG et des connexions internet des Conseillères municipales et des Conseillers municipaux sont, le cas échéant, intégrées à leurs décomptes de jetons de présence;

    3. Les autres prestations en nature accordées aux membres du Conseil Municipal font l'objet d'une annexe au décompte des jetons de présence, publiée avec lui.

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