Politique genevoise des transports : changements de paradigme et de magistrat...


Elu de droite, politique de gauche ?

La politique genevoise des transports est-elle en train de changer ? Le changement du magistrat en charge politique de la mener semble en tout cas correspondre à l'acceptation d'un "changement de paradigme" (comme on dit en langue de bois) qu'il est le premier depuis Bernard Ziegler à prendre en compte, à la grande inquiétude d'une bonne partie de son camp : s'il se dit "centriste", le démochrétien Serge Dal Busco est en effet un élu de la droite, soupçonné par la droite de mener une politique de gauche. Et Dal Busco d'aggraver encore son cas, déjà pendable aux yeux des bagnolards, en proposant de fiscaliser les parkings d'entreprises, en renonçant, plus ou moins explicitement, à faire de la traversée routière du Petit-lac la priorité des priorités prioritaires et en mettant fin à l'autorisation donnée aux deux-roues motorisés d'utiliser les voies de bus... On comprendra donc, mais sans trop y compatir, l'inquiétude qui commence à régner à droite : aurions-nous porté au pouvoir non le continuateur de Luc Barthassat mais celui de Michèle Künzler ?


"Quand les besoins ont changé, les lois qui sont demeurées sont devenues ridicules" (Voltaire)


La politique genevoise des transports et de la mobilité a gagné au remplacement, à la tête du département de tutelle, de Luc Barthassat par Serge Dal Busco -deux PDC, mais dont les lignes politiques dans ce domaine sont contradictoires. Du coup, la gauche et les milieux de promotion de la mobilité douce saluent les choix du nouveau ministre, et la droite s'interroge, quand elle ne les regrette pas -et ne regrette pas surtout l'abandon, implicite, du projet de traversée routière du lac, et en tout cas, explicitement, de la renonciation à le poser comme une urgence. Le président du TCS reproche à Serge Busco de ne pas avoir "compris qu'il faut fluidifier les axes structurants et la moyenne ceinture avant de prioriser la mobilité douce en ville". Or on se dirige précisément vers un aménagement priorisant les transports publics et la mobilité douce en ville -où désormais la majorité des habitants la pratiquent. "Quand les besoins ont changé, les lois qui sont demeurées sont devenues ridicules" (Voltaire) et Serge Dal Busco l'a compris, pas le TCS ...

Les aspirations des habitants d'une agglomération comme Genève sont contradictoires -et cette contradiction traverse chaque habitant : le même qui ne veut pas renoncer à sa bagnole pour se déplacer râlera contre les bagnoles qui traversent son village ou son quartier. En Ville, dans un ou deux ans, c'est la majorité des ménages qui se passera de véhicule automobile privé, et une bonne partie des habitants en âge et en état de conduire, de permis de le faire. Comment concilier ces aspirations contradictoires ? Evidemment pas en continuant à bégayer "liberté de choix du moyen de transport", comme si cette "liberté" n'était pas totalement illusoire -sauf à la réduire à celle donnée au moyen le plus lourd, le plus encombrant, le plus dangereux et le plus polluant d'exclure les autres et de nier leur liberté de se déplacer par un autre moyen...

Genève ne logeant qu'une partie de la population active, 40'000 personnes travaillant à Genève habitent le canton de Vaud, 85'000 en France,  ce qui représente 6000 déplacement pendulaires par jour entre le lieu de domicile et le lieu de travail (et inversement), effectués dans 90 % des cas par une voiture occupée par son seul conducteur. Plus de la moitié des actifs genevois, habitant ou non le canton, prennent encore leur bagnole pour se rendre à leur travail et en partir. Le résultat ? Avec 146 heures perdues par an (par les automobilistes, les usagers des trasports publics, les véhicules de livraison) Genève détient le record des villes suisses.
Les choses devraient cependant beaucoup changer avec l'entrée en vigueur du CEVA-Leman Express, qui mettra 86 % des postes de travail du canton à moins d'un kilomètre et demi de l'une de ses cinq gares genevoise, et devrait transporter tous les jours 50'000 personnes -autant de moins se déplaçant en automobile ? Sans doute pas, mais des milliers en moins sur les routes et dans les rues, certainement : selon Dal Busco, le CEVA devrait à lui seul réduire de 30 % le nombre de véhicules automobiles circulant à Genève. Et si on y ajoute d'autres mesures (comme la fin, par leur fiscalisation, des parkings professionnels gratuits, le développement des pistes cyclables ou la prolongation des lignes de bus transfrontaliers), ce "transfert modal" devrait encore être plus massif. Or 15 % de véhicules en moins suffirait à dissoudre la quasi totalité des "bouchons" genevois, comme il arrive que cela se fasse le plus naturellement et le plus simplement du monde l'été, quand un automobiliste sur six est en vacance...

Et pour prendre un peu de hauteur au-dessus des embouteillages genevois, rappelons cette position vieille déjà de 60 ans, mais dont on peut toujours s'inspirer, l'archaïsme n'étant pas toujours là où on croit le trouver :

"1. Le défaut de tous les urbanistes est de considérer l'automobile individuelle (et ses sous-produits, de type scooter) essentiellement comme un moyen de transport. C'est principalement la matérialisation d'une conception du bonheur que le capitalisme développé tend à répandre dans l'ensemble de la société. (...)
2. Le temps de transport, comme l'a bien vu Le Corbusier, est un sur-travail qui réduit d'autant la journée de vie dite libre.
3. Il nous faut passer de la circulation comme supplément du travail à la circulation comme plaisir.
4. Vouloir refaire l'architecture en fonction de l'existence actuelle, massive et parasitaire, des voitures individuelles, c'est déplacer les problèmes avec un grave irréalisme. Il faut refaire l'architecture en fonction de tout le mouvement de la société, en critiquant toutes les valeurs passagères, liées à des formes de rapports sociaux condamnées (au premier rang desquelles : la famille).
(Guy Debord, "Positions situationnistes sur la circulation", décembre 1959, Internationale Situationniste N° 3)

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