La COP 24, la transition écologique et la justice sociale


Réchauffement climatique et refroidissement politique

La COP 24 (24ème conférence des parties sur le climat) s'est ouverte dans le contexte politique le moins favorable à la prise en compte des objectifs de l'accord de Paris de 2015 : l'ambiance avait été donnée par l'élection l'année suivante de Donald Trump à la présidence des USA, elle a été confirmée cette année par celle de Bolsonaro à la présidence du Brésil. La lutte contre le réchauffement climatique se heurte à un refroidissement politique.  La COP 24 doit, d'ici samedi prochain, accoucher d'un "livre réglementaire", base de l'application de l'accord de Paris pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 ° centigrades. Les Etats devraient s'engager sur des règles intégrant "le respect des droits humains, de la sécurité alimentaire et de l'égalité des genres" à leurs engagements de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais s'engageront-ils ? Et lesquels s'engageront ? Et lesquels tiendront leur engagement ?


Justice sociale, justice climatique et droits démocratiques, même combat.

Cesser de jouer la lutte pour la fin du mois contre la lutte contre la fin du monde, c'est le principe d'une "transition juste", soutenue par le mouvement syndical international et par les ONG. Et ce principe est concrétisable : c'est affaire de choix et de volonté politique. Or c'est elle qui fait défaut : un rapport du Programme des Nations Unies pour l'Environnement constate que les pays du G20, qui cumulent 80 % de la consommation mondiale d'énergie et 78 % des émissions de CO2, n'atteindront pas les objectifs qu'eux-même s'étaient fixés pour 2030. Et aucun de leurs dirigeants n'était présent à l'ouverture de la COP 24. Et quinze d'entre eux produiront même plus de gaz à effet de serre qu'au moment de leur engagement d'en produire moins. La France, qui vient d'annoncer qu'elle repoussait la tenue de cet engagement aux calendes grecques (et jaunes), est de ces pays. Et quatre pays producteurs de pétrole (les USA, le Koweit, l'Arabie Saoudite et la Russie) ont déjà fait savoir qu'ils ne tiendraient pas compte de la base de travail de la COP, c'est-à-dire le rapport du GIEC. Ils n'ont évidemment aucun intérêt à accepter la transition d'une source d'énergie fossile (le pétrole) dont ils tirent profit vers des sources d'énergies non-renouvelables : leur mot d'ordre est le bon-vieux "après moi, le déluge". Version "après-nous, le réchauffement". Et le mot d'ordre des autres est "il est urgent d'attendre que le voisin commence, et peut-être qu'on suivra. Peut-être".

Tout le monde (ou presque) convient qu'il faut agir contre le réchauffement climatique, et que cette action est urgente. Mais personne (ou presque) n'est d'accord de payer pour cette action -or elle va coûter, forcément. La question est de savoir à qui coûtera-t-elle ? A ceux qui peuvent la payer, ou à ceux qui ne le peuvent pas sans se retrouver au-dessous du niveau de flottaison sociale ?
Une transition énergétique (une sortie des énergies fossiles) est possible (n'en déplaise aux "gilets jaunes") sans injustice sociale (n'en déplaise à Macron). Les objectifs de l'Accord de Paris sont donc réalistes et réalisables -ils sont même, puisqu'une admettent un réchauffement climatique de plus de 1,5 °,  un minimum : le dernier rapport du GIEC prévient : un réchauffement climatique de 2° centigrades se traduira par des vagues de chaleur plus intenses et des canicules plus longues, des pluies plus intenses, une hausse plus importante du niveau des mers et la disparition pure et simple d'un plus grand nombre d'espèces vivantes. Et le rapport "Emploi mondial et perspectives sociales" de l'Organisation internationale du Travail ajoute qu'avec un réchauffement climatique deux fois plus faible (1,5 °) que celui auquel on s'attend à la fin du siècle, plus de 5 % d'heures de travail (et de salaire) pourraient être perdues dans dix ans en Afrique et en Asie du fait du dérèglement climatique..

Justice sociale, justice climatique et droits démocratiques, même combat. Et aujourd'hui, même urgence : à l'augmentation de la fréquence et de la gravité des troubles climatiques (sécheresses, vagues de chaleur, inondations) et à la fonte des glaciers et de la calotte arctique s'ajoutent en effet les attaques contre les droits sociaux des populations les plus précarisées, et contre les droits démocratiques dont usent les oppositions aux pouvoirs en place (de quelque couleur politique que soient ces pouvoirs)...

Changement d'ère et d'air est affaire des Etats ? C'est surtout affaire des peuples. Même de cette part des peuples qui sont bien d'accord qu'il faille lutter contre le réchauffement climatique, mais pas de payer plus cher l'essence de leur bagnole. Et c'est aussi affaire des villes : il y a trois ans, plus de 700 Maires du monde entier réunis à Paris à l'initiative ont pris l'engagement d'aller vers l'abandon total des énergies fossiles  dans trente ans. Les villes, où vit désormais la majorité de la population humaine de la planète (cette proportion passera aux deux tiers dans dix ans), consomment 67 % de l'énergie mondiale et émettent 70 % des gaz à effet de serre. Mais elles sont aussi les premières victimes des effets de la pollution qu'elles produisent, et les premières actrices possibles des solutions concrètes, immédiates et efficaces d'une transition énergétique respectueuse des droits sociaux et politiques.

Le capitalisme n’a pu se développer et se maintenir qu’en exploitant des ressources gratuites : les ressources naturelles. Cette exploitation elle-même n’était certes pas gratuite, mais ce qui était exploité l’était, et il n’était pas nécessaire de reproduire ces ressources, comme il était et reste nécessaire de reproduire la force de travail et le capital. La nature a même eu cette fonction inespérée, et qu'on pouvait croire éternelle, d'être la poubelle dans laquelle déverser tous les déchets de l'accumulation capitaliste et de la consommation de sa production. Cela, cependant, a un terme, et nous y sommes. Nous l'avons même dépassé.  Qui, nous ? nous tous, "frères humains", sans doute. Mais comme les animaux de la ferme d'Orwell, certains sont plus égaux que d'autres dans le grand concours de dégradation des conditions de vie de presque tous. Et ce ne sont évidemment pas les peuples dont l'espérance de vie est d'un tiers inférieure à la nôtre, dont la majorité de la population n'a accès ni à l'eau potable, ni à l'électricité, et qui consacrent la totalité de leurs ressources à leur survie physique, qui peuvent concourir à la réalisation des objectifs du "développement durable" et assumer l'urgence de la lutte contre le réchauffement climatique.

Commentaires

Articles les plus consultés