Un Pacte international sur les migrations sans la signature suisse ?


Coïtus interruptus

La Suisse ne signera pas (du moins pas pour le moment, pas avant que les Chambres fédérales en aient débattu) le Pacte sur les migrations de l'ONU. Le Conseil fédéral, qui se dit pourtant convaincu que ce pacte "correspond aux intérêts de la Suisse", puisqu'il vise à diminuer la migration "irrégulière" en organisant une migration "ordonnée", a donc courageusement décidé de ne pas décider. Après avoir annoncé qu'il signerait un texte à la rédaction duquel il avait fait participer son ambassadeur auprès de l'ONU.  La Suisse était donc absente à la signature du pacte, lundi 10 dernier à Marrakech. Comme les gouvernements "populistes" (qu'on nous pardonne cet oxymore -comme si on pouvait être "populiste" en étant au pouvoir...) des USA, de Hongrie, d'Autriche, d'Australie, de la République Tchèque, d'Israël et de Pologne. Le texte du Pacte est pourtant purement déclamatoire et sans conséquence impérative ni effet juridique : chaque Etat signataire en fait rigoureusement ce qu'il veut. S'il vise à définir des critères pour une politique mondiale ordonnant la migration, renforçant la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des migrants, sécurisant les frontières, veillant au respect des droits humains, organisant le rapatriement et la réintégration des migrants "irréguliers" dans leur pays d'origine et l'intégration des migrants "réguliers" dans leur pays d'accueil, il le fait en reprenant des principes déjà exprimés dans les grands textes internationaux proclamant les droits fondamentaux de la personne, et dans la plupart des constitutions nationales. Et il ne créée nullement un "droit à la migration" (comme s'il fallait créer un tel droit, alors que la migration est un  fait millénaire qui se contrefout de toute espèce de droit). Seulement voilà : parler de "migration", même "ordonnée", sans la qualifier a priori de menace et d'invasion, c'est agiter un chiffon rouge (ou jaune ?) sous le mufle des xénophobes. Et à moins d'un an des élections fédérales, la majorité de droite du Conseil fédéral, à commencer par l'acratopège ministre des Affaires Etrangères a eu peur des réactions du bestiau. D'où ce pitoyable coïtus interuptus.


Ignace, Ignace, c'est un petit nom charmant....


Le 13 juillet dernier, 192 Etats membres des Nations Unies décidaient du principe d'un pacte mondial pour une migration "sûre, ordonnée et régulée". 192 Etats, soit tous les Etats membres de l'ONU (dont la Suisse) sauf les USA de Trump, nés d'une migration européenne rien moins que sûre, ordonnée et régulée, mais n'en fantasmant pas moins sur la migration... américaine venant du sud du Rio Grande. La décision des Nations Unies fut alors qualifiée par l'ambassadeur suisse d'"historique". Mais cinq mois plus tard, la main droite du gouvernement de la Confédération (siège du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, et dépositaire de la Convention de Genève sur le droit d'asile) a décidé d'ignorer ce que fit sa main gauche : la Suisse ne signera pas le Pacte de Marrakech (forcément, Marrakech, c'est pas en Suisse, c'est même carrément en Afrique...) avant que son parlement ait autorisé le Conseil fédéral à le faire (alors qu'il pourrait le faire de son propre chef). Or l'une des deux Chambres du parlement est majorisée par l'UDC et un PLR à sa traîne sur ce sujet (à l'image de son conseiller fédéral chargé d'affaires lui étant apparemment totalement étrangères). La Suisse n'est pas seule à bouder un texte pourtant non contraignant : outre les USA, la Hongrie, la Bulgarie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, l'Estonie (l'ex glacis soviétique, en somme...), l'Autriche et l'Italie en font autant. Ce qui ne surprendra personne, compte tenu de qui les gouverne. En Belgique, les nationalistes flamands ont fait exploser la coalition gouvernementale (de bric de gauche, de broc du centre et de braques de la droite de la droite) et un peu partout (comme en France au sein des "gilets jaunes") les théories complotiste les plus délirantes. La France et la Belgique n'en ont pas moins signé le pacte -mais à Bruxelles, le 8 décembre, les nationalistes flamands avaient invité Marine Le Pen et Steve Bannon, l'ancien conseiller de Trump ("en croisade pour installer les fachos en Europe", rappelle le "Canard Enchaîné" -à peu près seule lecture supportable de la presse française en ce moment) à un meeting de dénonciation du "pacte avec le diable".

La Suisse peut certes encore signer ce Pacte qu'elle avait appelé de ses vœux et qu'elle a contribué à rédiger. Mais plus les élections fédérales approchent, plus la droite du parlement (le PLR) s'aplaventrit devant sa propre droite (l'UDC), lors même que cette droite de la droite est en petite forme.  A quoi rime la pusillanimité du Conseil fédéral face à une tentative d'inciter à une régulation internationale des migrations ? A la peur des urnes de l'année prochaine. Tout le monde pourtant sait, même ceux qui n'en conviendront jamais publiquement, que poser un cadre international pour traiter des questions de migrations "est la seule voie possible", comme l'observe le socialiste genevois Carlo Sommaruga : un phénomène mondial, qui remonte aux premiers pas de l'humanité hors de son berceau africain (et a notamment été marqué par la tentative de migration des Helvètes en Gaule, arrêtée puis noyée dans la sang par Jules Cesar à Genève) ne peut être régulé nationalement... Et tout le monde sait encore que le seul moyen de réduire l'immigration "irrégulière" (c'est-à-dire illégale) est de réguler l'immigration, et donc de la légaliser. Et tout le monde sait enfin que la grande majorité des migrants ne partent pas du sud pour aller vers le nord, mais partent du sud pour aller ailleurs au sud. Ou, comme les Helvètes, de l'Est d'une région vers son Ouest...

Le Pacte de Marrakech n'est pas un traité, et les principes qu'il pose sont déjà posés dans la Constitution fédérale suisse, et dans les traités fondamentaux signés et ratifiés par la Suisse, proclamant et, pour certains (comme la Convention européenne) garantissant les droits internationaux, mais rien n'y a fait : la majorité du Conseil fédéral (deux udécistes et deux péhèlères) a décidé de ne pas assumer le choix de la majorité qui la précédait d'appeler et de participer à la rédaction d'un pacte visant (sans l'imposer, chaque Etat faisant ce qu'il veut de cette incitation) à renforcer la "coopération relative aux migrations internationales sous tous leurs aspects". Il faut dire qu'entre ce premier pas de la Suisse et son pas en arrière d'aujourd'hui, suivant le refus du gouvernement d'accorder le pavillon suisse à l'Aquarius, notre glorieux pays a changé de ministre des Affaires Etrangères, Igniazio Cassis succédant à Didier Burkhalter.
Vous allez voir qu'on va finir par regretter que Pierre Maudet n'ait pas été élu au Conseil fédéral...

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