Vote de la loi genevoise sur la laïcité : Un pet dans l'eau
La loi cantonale genevoise sur "la laïcité de l'Etat"a été acceptée hier
par 55 % des suffrages, grâce au soutien massif que lui a apporté
l'électorat de droite et au différentiel de participation au vote entre
les arrondissements de droite et ceux de gauche (la participation s'est
établie à 43,8 % au plan cantonal, mais elle s'étage entre e38,5 % à
Châtelaine et plus de 49 % à Veyrier). L'effet de ce différentiel saute
aux yeux en Ville de Genève : tous les arrondissements de gauche (soit
la majorité des arrondissements de la ville) votent contre la loi,
malgré quoi elle est acceptée par la majorité des votants de la
commune... On notera au passage le nombre important de bulletins blancs
(5578 dans le canton). Et maintenant ? Maintenant, rien... Genève n'est
ni plus, ni moins laïque depuis hier, et sa "loi sur la laïcité de
l'Etat" ne changera finalement rien aux pratiques genevoises : l'Etat va
continuer à trier entre les bonnes églises et les autres, les vraies et
les fausses religions, à permettre à quelques unes d'utiliser
l’administration fiscale pour prélever leur dîme, à faire prêter serment
aux conseillers d'Etat et aux députés dans un temple, tout en leur
interdisant d'arborer des signes religieux pendant les séances publiques
du parlement... cela, d'ailleurs, se règlera devant les tribunaux :
l'assimilation stupide des élus dans les parlements municipaux et
cantonal à des agents de l'Etat, avec à la clef l'interdiction leur
étant faite de porter des signes religieux (ou philosophiques, ou
idéologiques) visibles pendant les séances plénières publiques, cette
interdiction ne tiendra sans doute pas longtemps face à des recours
déposés par des députées ou des députés, des conseillères municipales ou
des conseillers municipaux. Au fond, tout au fond même, ce vote sur
cette loi n'est guère qu'un pet dans l'eau : ça fait un petit bruit et
de grosses bulles, ça fleure un peu, mais ça se dissipe presque aussi
vite que cela s'exhale.
On ne prendra pas le maquis parce qu'une loi idiote a été acceptée.
La laïcité ne consiste pas seulement en une séparation des églises et de l'Etat, et en une neutralisation religieuse de l'espace politique institutionnel et des services publics (et donc de leurs agents, dont on attend effectivement une neutralité religieuse, philosophique, idéologique dans son action, mais dont on peut se contrefoutre de l'apparence physique), mais elle consiste aussi, et peut-être aujourd'hui surtout, en une égalisation des religions, en ce qu'elle accorde les mêmes droits à toutes et tous indépendamment de leurs convictions religieuses (ou irréligieuses). L'espace public, les institutions publiques et les services publics doivent être neutres, mais cette neutralité est elle-même soumise au principe d'égalité : même majoritaire, un groupe défini par sa religion (ou sa philosophie, ou son idéologie) ne peut l'imposer, monopoliser la parole et l'usage d'un espace public -qui n'est pas l'espace de l'Etat mais, précisément, celui du public. Il est donc, de ce point de vue, aussi peu "laïque" de contraindre à un mode vestimentaire (ce que font les intégrismes religieux, en privilégiant les femmes comme cibles et victimes de cette contrainte) que de l'interdire (également en faisant des femmes la cible privilégiée de cette interdiction). L'interdiction du burkini dans les piscines municipales ou celle de la burqa ou du hidjab dans les rues relèvent de la même démarche que leur obligation... On leur a successivement interdit de montrer leur visage, puis de se montrer tête nue, puis de porter des jupes courtes, puis de porter des pantalons, et maintenant de se couvrir les cheveux... Ne pourrait-on pas, au XXIe siècle (chrétien...) les laisser libres de décider de leur apparence vestimentaire ? De ne ni leur imposer de porter un voile, ni leur interdire de le porter ? Apparemment, on ne peut pas. Disons : pas encore.
Il y a plus de 400 groupes religieux à Genève (dont une centaine d'évangéliques). Lesquels seront sélectionnés par l'Etat, en fonction de critères posés par l'Etat, pour bénéficier (s'ils le sollicitent, ce qui semble ne devoir être le cas ni des évangéliques, ni des musulmans) des avantages que l'Etat garantit aux groupes religieux qu'il aura sélectionnés ? Et quelle laïcité, quelle neutralité sont-ce, que celles qui donnent à l'Etat le pouvoir de cette sélection des bonnes et mauvaises religions et des bons et mauvais groupes religieux ? Si imposer la laïcité par une loi et charger l'Etat de réglementer particulièrement les pratiques religieuses en les distinguant des autres pratiques philosophiques ou idéologiques, et cela tout en affirmant la séparation de l'Etat et des organisations religieuses, est peut-être "républicain" et "démocratique", rien n'est moins laïque. Mais rassurons-nous : la société genevoise vivra avec cette contradiction, évidente, après le vote d'hier comme elle vivait déjà avec depuis un siècle... Quel est le plus important -et de loin- de tous les groupes statistiques définis en fonction de ses convictions religieuses (ou de leur absence) à Genève ? Celui des "sans religion", des agnostiques et des athées...
On ne prendra pas le maquis parce qu'une loi idiote a été acceptée : son idiotie même la rendra inopérante. On n'aurait pas plus pris le deuil si elle avait été refusée: la laïcité y aurait survécu. D'ailleurs, on a voté blanc -c'était le seul vote respectueux de la laïcité... Et si on devait n'avoir qu'un regret, c'est celui de ne pas assister au spectacle que la Kahina nous avait promis si la loi était refusée : "venir siéger en cornette de bénédictine (en expliquant) que ce n'est pas un costume religieux, mais une nouvelle collection de mon cru à base de coton amidonné"...
On ne prendra pas le maquis parce qu'une loi idiote a été acceptée.
La laïcité ne consiste pas seulement en une séparation des églises et de l'Etat, et en une neutralisation religieuse de l'espace politique institutionnel et des services publics (et donc de leurs agents, dont on attend effectivement une neutralité religieuse, philosophique, idéologique dans son action, mais dont on peut se contrefoutre de l'apparence physique), mais elle consiste aussi, et peut-être aujourd'hui surtout, en une égalisation des religions, en ce qu'elle accorde les mêmes droits à toutes et tous indépendamment de leurs convictions religieuses (ou irréligieuses). L'espace public, les institutions publiques et les services publics doivent être neutres, mais cette neutralité est elle-même soumise au principe d'égalité : même majoritaire, un groupe défini par sa religion (ou sa philosophie, ou son idéologie) ne peut l'imposer, monopoliser la parole et l'usage d'un espace public -qui n'est pas l'espace de l'Etat mais, précisément, celui du public. Il est donc, de ce point de vue, aussi peu "laïque" de contraindre à un mode vestimentaire (ce que font les intégrismes religieux, en privilégiant les femmes comme cibles et victimes de cette contrainte) que de l'interdire (également en faisant des femmes la cible privilégiée de cette interdiction). L'interdiction du burkini dans les piscines municipales ou celle de la burqa ou du hidjab dans les rues relèvent de la même démarche que leur obligation... On leur a successivement interdit de montrer leur visage, puis de se montrer tête nue, puis de porter des jupes courtes, puis de porter des pantalons, et maintenant de se couvrir les cheveux... Ne pourrait-on pas, au XXIe siècle (chrétien...) les laisser libres de décider de leur apparence vestimentaire ? De ne ni leur imposer de porter un voile, ni leur interdire de le porter ? Apparemment, on ne peut pas. Disons : pas encore.
Il y a plus de 400 groupes religieux à Genève (dont une centaine d'évangéliques). Lesquels seront sélectionnés par l'Etat, en fonction de critères posés par l'Etat, pour bénéficier (s'ils le sollicitent, ce qui semble ne devoir être le cas ni des évangéliques, ni des musulmans) des avantages que l'Etat garantit aux groupes religieux qu'il aura sélectionnés ? Et quelle laïcité, quelle neutralité sont-ce, que celles qui donnent à l'Etat le pouvoir de cette sélection des bonnes et mauvaises religions et des bons et mauvais groupes religieux ? Si imposer la laïcité par une loi et charger l'Etat de réglementer particulièrement les pratiques religieuses en les distinguant des autres pratiques philosophiques ou idéologiques, et cela tout en affirmant la séparation de l'Etat et des organisations religieuses, est peut-être "républicain" et "démocratique", rien n'est moins laïque. Mais rassurons-nous : la société genevoise vivra avec cette contradiction, évidente, après le vote d'hier comme elle vivait déjà avec depuis un siècle... Quel est le plus important -et de loin- de tous les groupes statistiques définis en fonction de ses convictions religieuses (ou de leur absence) à Genève ? Celui des "sans religion", des agnostiques et des athées...
On ne prendra pas le maquis parce qu'une loi idiote a été acceptée : son idiotie même la rendra inopérante. On n'aurait pas plus pris le deuil si elle avait été refusée: la laïcité y aurait survécu. D'ailleurs, on a voté blanc -c'était le seul vote respectueux de la laïcité... Et si on devait n'avoir qu'un regret, c'est celui de ne pas assister au spectacle que la Kahina nous avait promis si la loi était refusée : "venir siéger en cornette de bénédictine (en expliquant) que ce n'est pas un costume religieux, mais une nouvelle collection de mon cru à base de coton amidonné"...
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