"Déli de solidarité" : un pasteur jugé à Neuchâtel




Grüninger, Herrou, Valley, Lucano : Respect !

La pénalisation de la solidarité envers les migrants frappe aussi la Suisse : le pasteur Valley comparaît en justice ce matin à Neuchâtel pour avoir nourri et logé un Togolais menacé d’expulsion. On ne peut pourtant pas dire qu'on soit envahis: 15'255 demandes d’asile ont été déposées en 2018 en Suisse -c'est 15,7% de moins qu’en 2017 et le chiffre le plus bas enregistré depuis 2007. Mais cela ne change rien : le «délit de solidarité» fait surface aussi chez nous -notre pays étant par ailleurs le dépositaire de la Convention de Genève sur le droit d'asile, ce qui n'empêche pas la «justice» d'y poursuivre celles et ceux qui, tels Anni Lanz, Norbert Valley. ou Lisa Bosia Mirra viennent en aide à des réfugiés ou à des migrants. Comme en son temps le fit Paul Grüninger, à Saint-Gall, lorsque, chef de la police, il fit entrer illégalement en Suisse des juifs fuyant l'Autriche annexée par l'Allemagne nazie. Lui aussi fut condamné, dégradé, révoqué. Avant, quarante ans plus tard, d'être réhabilité et honoré.


Ceux qui déshumanisent les migrants se déshumanisent eux mêmes.


Hier, une pétition signée par plus de 4000 personnes, a été déposée au Grand Conseil genevois : elle demande aux autorités cantonales d'autoriser les Erythréens et Erythréennes déboutés de leur demande d'asile à poursuivre leur formation et à exercer un travail rémunéré, et aux autorités fédérales de leur accorder le droit de rester en Suisse. 30'000 Erythréens vivent en Suisse, dont 9500 réfugiés admis à titre provisoire. Les Erythréens représentaient au deuxième trimestre 2018 19 % des demandeurs d'asile en Suisse. Faute d'accord de réadmission avec l'Eryhrée, la Suisse n'expulse pas ces demandeurs d'asile quand ils sont déboutés de leur demande. Et ça ne plaït pas, mais alors pas du tout, à la droite et, évidemment, à l'extrême-droite. Qui exigent la fin de cette "exception érythéenne", au prétexte d'un accord de paix avec l'Ethiopie, qui ne change rien aux pratiques internes du régime, ni à sa pratique des détentions arbitraires et de la torture, notamment sur les émigrants contraints de revenir au pays après enj être sortis illégalement (faute d'avoir pu en sortir légalement). Il est vrai qu'en Suisse comme ailleurs, dans ce qui tient lieu de débat politique sur les migrations, on parle bien plus de celles et ceux qui arrivent chez nous que des raisons qui les poussent à quitter leur pays. Qu'en Erythrée, les gens sont détenus sans procès et que les requérants contraints d'y retourner soient traités comme des criminels, que le service militaire obligatoire y dure plusieurs années et que ceux qui s'y soustraient (notamment en s'exilant) soient considérés comme des déserteurs,  ne retient ni le tribunal fédéral, ni le Conseil fédéral, ni les partis de droite : la Suisse est le seul Etat européen à renvoyer des requérants d'asile erythréens.

Les politiques restreignant l'immigration ne consistent pas seulement à renforcer les contrôles aux frontières, mais aussi à renforcer les contrôles à l'intérieur des frontières, sur toute la population résidente, qu'elle soit immigrée ou native, solidaire des migrants ou indifférente à leur sort. Ainsi trace-t-on non seulement une frontière extérieure mais aussi des frontières intérieures : la forteresse européenne fait de plus en plus ouvertement de chaque pays européen une prison -et pas seulement pour les "délinquants de solidarité". Après tout, la liberté de circulation étant à la fois une liberté d'entrer dans un pays autre et de sortir de son propre pays, toute restriction de cette liberté doit forcément porter sur l'entrée comme sur la sortie -et sur le séjour. Les premières victimes des politiques "antimigratoires" sont sans doute les migrants, mais les secondes sont les résidents. Les militants du refuge, évidemment, mais aussi ceux qui soutiennent ces politiques xénophobes (au strict sens du terme).

Quelques milliers de requérants d'asile nous arrivent, fuyant un pays dont les potentats planquent des milliards dans nos banques. "On ne peut pas accueillir toute la misère du monde", entend-on ronronner le moulin à prière des justifications de la xénophobie (Michel Rocard, il est vrai, l'avait dit aussi -en ajoutant cependant "mais on doit en prendre notre part...), comme si "toute la misère du monde" était en état de venir "chez nous", ou même de quitter sa glèbe. On ne peut pas accueilli4r "toute la misère du monde", mais toute la richesse du monde est la bienvenue. Y compris celle dont la fuite entretient la misère. Une porte se ferme aux humains ? celle aux capitaux reste grande ouverte. Aimé Césaire affirmait justement qu'en déshumanisant le colonisé, le colonisateur se déshumanisait lui-même. De même, ceux qui déshumanisent les migrants en voulant les "gérer" comme on gère un stock se déshumanisent eux mêmes. Et ce sont ceux qui se rendent coupables de "délit de solidarité", les Paul Grüninger, Cédric Herrou*, Norbert Valley, "Mimmo" Lucano**, qui réaffirment l'humanité des sociétés humaines, contre les Etats, leurs frontières, leurs camps de transit, leurs centres de rétention et leurs lois.
Et les nôtres.

* Cédric Herrou, condamné à quatre mois de prison avec sursis en août 2017 pour son engagement de passeur militant de réfugiés à travers la frontière franco-italienne dans la vallée de la Roya.

** Maire de Riace, en Calabre, Domenico Lucano, a fait de sa petite ville (ou son grand village) un modèle d'accueil des migrants, ce qui a fait revivre Riace, ses services publics (création d'une régie publique de l'eau, à disposition gratuite des habitants,  création de potagers, d'un moulin à huile, d'un centre de santé gratuit) et ses commerces privés -mais lui a valu d'être arrêté, mis  aux arrêts et suspendu se son mandat par le gouvernement. "Aucun humain ne devrait être considéré comme clandestin", affirme-t-il -contre "son" gouvernement.

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