Elections municipales en Turquie : défaite d'Erdogan dans les villes et au Kurdistan


Ambiguë Byzance

Les élections municipales en Turquie accouchent d'une défaite du Sultan : le parti du président Erdogan, l'AKP, a perdu les municipalités de la capitale, Ankara, de la métropole, Istambul. Mais cette défaite est ambiguë : l'AKP reste le premier parti de Turquie, et l'opposition n'a réussi à le vaincre dans les grandes villes qu'en agglutinant des forces politiques contradictoires : le CHP kémaliste et social-démocrate et l'Iyi ultranationaliste à Istambul, par exemple. Et il lui a fallu encore bénéficier du soutien indirect (par l'absence de candidature) du Parti démocratique des peuples (HDP), parti de gauche et bête noire du régime du fait de son fort ancrage kurde. Malgré sa criminalisation (53 de ses militants – et un candidat ont été arrêtés à la veille du scrutin, ses dirigeants, dix de ses députés, près d'une centaine de ses maires sont en prison), ce choix du HDP, principale force de gauche de Turquie, a été déterminant : ses électeurs ont donné leur voix aux candidats de l’opposition républicaine malgré son alliance avec des ultranationalistes aussi "antikurdes" qu'Erdogan. Et si l'opposition à gagné à Istambul (plus grande ville kurde du pays...), c'est grâce au vote des Kurdes. Et le HDP, vainqueur dans six provinces du sud-est, a récupéré plusieurs villes kurdes comme Diyarbakir et Van, dont les maires avaient été destitués arbitrairement par le pouvoir et remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement.

N'a-t-on chanté la geste des combattantes kurdes que pour les laisser en proie aux janissaires ?

L'opposition turque a ravi à Erdogan "sa" ville d'Istambul, que le parti du Sultan (qui en avait été maire) contrôlait depuis un quart de siècle. C'est bien. Et les victoires de l'opposition aux élections municipales (elle va contrôler des villes qui concentrent 70 % de la richesse nationale et près de la moitié de la population du pays) sont d'autant plus importantes que c'est précisément par son ancrage municipal que l'AKP a trouvé la force de devenir le premier parti de Turquie (avec de furieuses envies d'en devenir le parti unique) : les ressources des municipalités sont utilisées pour créer une clientèle partisane, et soutenir les "organisations de masse" (de jeunes et de femmes, notamment) proches du parti ou directement contrôlées par lui.  Mais une élection municipale gagnée ne fait pas le printemps : Erdogan a toujours le soutien d’un Turc sur deux, s'il est détesté par l'autre. Reste donc à l'opposition le plus difficile : constituer une alternative au Sultan, et à sa politique. Y compris, ou peut-être même surtout, à sa politique au Kurdistan. Car la défaite de l'AKP est en grande partie due à la crise économique que traverse la Turquie, plus qu'à l'autoritarisme, à à l'expansionnisme régional, au conservatisme social du pouvoir et à sa répression des aspirations kurdes, qu'elles se manifestent en Turquie, en Irak ou en Syrie.

En Irak, à la mi-octobre 2017, les troupes irakiennes (entraînées par les USA) renforcées de milices iraniennes n'ont mis que quelques heures pour s'emparer, de la grande ville de Kirkouk, revendiquée par les Kurdes, et des champs pétroliers de la région. Les Kurdes ont perdu avec les puits de pétrole leur principale ressource financière et 45 % du territoire qu'ils contrôlaient en Irak. Un coup de force de toute évidence autorisé, sinon téléguidé, à la fois par les USA et la Turquie
En Syrie, l'armée turque et ses supplétifs islamistes syriens ont lancé, en janvier 2018, une offensive contre la ville d'Afrin tenue par les forces kurdes face à Daech. Après trois mois de combats, les Turcs et leurs supplétifs islamistes ont pris la ville. Et y ont instauré un régime de terreur. Selon Amnesty International, les civils y subissent de "graves violations des droits humains" : disparitions forcées, prises d'otages, détentions arbitraires, tortures, pillage, expropriations et remplacement de la population kurde par des "déplacés" venus des territoires syriens repris par le régime de Damas.

Ainsi les Kurdes se retrouvent affrontés à la fois à Daech, aux Turcs, aux Irakiens arabes et aux Iraniens. Et sans alliés, abandonnés après avoir été utilisés par les uns et les autres comme combattants et combattantes de première ligne contre les djihadistes de l'Etat islamique. N'a-t-on chanté la geste des combattantes kurdes mque pour les laisser en proie aux janissaires ?

La gauche turque et kurde a besoin de la solidarité active de la gauche européenne. Et tout le peuple kurde, qu'il soit en Irak, en Syrie, en Iran ou en Turquie.  Le malheur kurde peut prendre fin. Si on ne laisse pas les Kurdes seuls à ses prises.

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