La gauche au défi de l'écologie


La croissance comme enjeu ou comme obstacle

Il faut bien l'avouer : la gauche n'a pas été à la pointe de l'écologie politique. Porteuse (admettons-en l'augure) d'un projet alternatif au capitalisme, elle n'en a pas moins hérité de ses prémices productivistes et industrialistes : la gauche et l'écologie, résume le philosophe Serge Audier, "c'est au fond l'histoire d'une défaite politique et idéologique", d'une perte, sur ce thème, d'hégémonie culturelle. Toute la gauche, réformiste ou révolutionnaire, ne s'est certes pas confinée dans la reprise des obsessions saint-simoniennes, mêmes traduites en marxien, en sartrien ("la nature est de droite", assène Simone de Beauvoir) ou en foucaldien (pour Michel Foucault, en effet, il convient de se méfier de tout discours "naturaliste" sur les institutions ou les individus) : les anarchistes développèrent très tôt une critique écologiste de l'industrialisme et du capitalisme, appuyant cette critique autant sur Rousseau que sur la raison scientifique. On en retrouve trace dans le discours, même manquant de cohérence interne et surtout de base sociale, d'un Benoît Hamon. Quant aux populismes de gauche, façon "France Insoumise", en insistant sur un clivage prioritaire entre "le peuple" et "les élites" (auxquelles les principales figures populistes de gauche ne sont pourtant pas étrangères), il font passer au second plan la lutte contre contre les présupposés industrialistes, productivistes et consuméristes du capitalisme, totalement incompatibles avec toute forme concevable d'"écosocialisme".


"Les perspectives sont plus belles que jamais"

"Celui qui pense qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste", résumait... l'économiste américain Kenneth Ewart Boulding. On revient donc à la décroissance : projet éminemment anticapitaliste, mais soutenu par le pape : "l'heure est venue d'accepter une certaine décroissance", car le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n'est pas soutenable", a déclaré François en juin 2015, dans son encyclique "Laudato si". Mais si anticapitaliste qu'il soit (et peut-être même parce qu'il l'est), le projet de la décroissance est soutenu depuis la droite comme depuis la gauche -car il y a, et il y a toujours eu, une droite anticapitaliste, ou plutôt, plusieurs droites anticapitalistes, toutes réactionnaires mais pas de la même culture politique, l'une étant fondée sur une tradition religieuse (notamment, mais pas exclusivement, catholique), l'autre sur un rêve de retour aux vertus de la vie naturelle, l'une étant urbaine, l'autre abhorrant la ville et proclamant depuis Vichy que "la terre ne ment pas", les deux se retrouvant néanmoins pour vomir le libéralisme sous toutes ses formes (économique, certes, mais aussi, et sans doute surtout, politique, culturel et social) et pour conjuguer notamment écologisme réactionnaire et antiféminisme primaire, au nom du "respect de la vie" et des "lois naturelles" (d'où la remise en cause du droit à l'avortement, du "mariage pour tous", de la décriminalisation de l'homosexualité).

Quant à la gauche, elle est traversée par un conflit difficilement soluble, une contradiction difficilement productrice de synthèse, entre la critique du consumérisme et du libéralisme économique et la volonté d'améliorer les conditions de vie des classes les moins favorisées -et donc de hausser leur niveau de vie, et donc leurs revenus, et donc leur capacité de consommer, et donc de polluer, de gaspiller,... et de contribuer réchauffer le climat. L'anticapitalisme est une chose -son alternative en est une autre, et il y a un gouffre entre le productivisme stalinien, héritier caricatural, certes, mais néanmoins direct de l'industrialisme social-démocrate, et une certaine austérité libertaire. Et un monde aussi entre la tentation de s'en remettre à un pouvoir (d'Etat) "éclairé" capable d'imposer des choix radicaux à une population qui n'en veut pas, et le souci démocratique de ne rien faire sans l'appui du peuple. Entrer, comme le prône le mouvement de Benoît Hamon, "Génération.s", dans une "ère post-capitaliste et post-croissance" va forcément se heurter au désir des "classes populaires" de prendre sa part des fruits de la croissance, fût-elle produite par le capitalisme. Vincent Cheynet, du magazine "La Décroissance", a sa réponse -pour nous inacceptable : c'est la tâche d'une élite éclairée que d'imposer ce choix par des restrictions, sans attendre une "révolution culturelle" au sein même de la société. Position quasi-léniniste : une avant-garde se charge du bonheur des masses. Et pourra proclamer comme Léon Nicole, que "les perspectives sont plus belles que jamais".

L'avenir radieux, quoi.

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