Un projet démocratique à l'heure des objets connectés : Faire silence


A l'heure où on nous serine qu'il ne sera pas possible d'éviter la 5G et la connectivité des objets, il n’y a déjà plus guère qu’à nous-mêmes que nous ne sommes pas connectés, et désormais, même les images sont bruyantes. Mais si le silence se fait rare, c’est qu’on nous a appris à en avoir peur. Or ce silence que nous fuyons n’est que l’absence de tous les bruits parasites dont nous avons fait notre accompagnement indispensable. Un chant d’oiseau, le murmure d’une rivière, ne brisent pas le silence mais l'accompagnent. Le moulin à fausses paroles qui tournent sur elles-mêmes sans plus rien transmettre que leur bruit, lui, détruit le silence sans le meubler, et en sature le monde social pour empêcher les sociétaires (qui après tout ne demandent peut-être que cela…) de trop réfléchir à eux-mêmes et à leur place dans ce monde. Nous parlerons bientôt à notre frigo, et notre four à micro-ondes nous parlera. En avions-nous vraiment besoin ?
« Que pouvons-nous faire de nous-mêmes ? »

S’agit-il, comme le suppose Michel Foucault, de remplacer la question kantienne « Qui sommes nous ? » par la question « Que pouvons-nous faire de nous-mêmes ? » Le capitalisme, qui s’est avancé sous la bannière de l’individualisme, a constitué un individu sans individualité. A ceux qui pleurent ou font mine de pleurer sur la montée de l’individualisme, sur la dissolution individualiste des liens communautaires d’abord, sociaux ensuite, nous pouvons répondre, rassurants : « ne pleurez plus, ce que vous craignez n’est qu’un fantôme… ». Jamais troupeau ne fut plus moutonnier que celui des populations de nos sociétés. Nos sociétés sont individualistes comme le camembert industriel est « fermier », « rustique » et « moulé à la louche ».

Il nous faut pourtant socialement avant que géographiquement, réinventer le nomadisme -et d’abord celui des rôles. Permettre une vie différente suppose la création d’espaces où une vie différente peut déjà être possible, et où les normes de la vie courante ne prévalent plus -ou plus forcément. Des lieux sans maîtres, des lieux sans conformité aux normes sociales. Des Cours des Miracles. Ya-t-il ambition plus haute que celle de réconcilier l’oïkos, l’agora et l’eklesia, le lieu de soi, le lieu de la rencontre des autres et le lieu du pouvoir –d’un pouvoir qui serait sans pouvoir ? On appellerait cela la démocratie… Et on pourrait alors y faire silence de tous les bruits parasites qui accompagnent aujourd'hui notre servitude volontaire.

Mais sommes nous encore capables de le faire, ce silence ? capables d’imposer, ne serait-ce qu’une fois, une seule, le silence des media, la panne générale des téléphones cellulaires, la déconnexion de tous les ordinateurs –d’imposer le choix entre le silence et la parole vraie, celle de personnes vivantes ? Ce serait là, aujourd’hui, ce que put être (ou qu’on rêvait que soit) naguère la grève générale : l’arme ultime de destruction massive des chaînes sociales…

Lorsque nous aurons rétabli le droit à l'éloquence du silence, nous aurons rétabli le droit de nous taire ensemble, comme ces amants qui se regardant en silence se nourrissent l’un ou l’une de l’autre, parce que le visage de l’une ou l’un est une parole silencieuse adressée à l’autre.

Commentaires

Articles les plus consultés