Quand la Ville seule assume l'hébergement d'urgence


Otages sans-abris

On avait plutôt pris l'habitude, et s'était fait sinon une raison, du moins une résignation, de ce que la droite du Conseil municipal de Genève ferraille contre toute tentative de la Ville de mener une politique sociale, et toute proposition du Conseil administratif de donner des moyens (financiers et humain) à une telle politique. La droite municipale s'était opposée à ce que la Ville accorde des allocations complémentaires aux allocations cantonales versées aux retraités et aux invalides les plus modestes. Elle s'était opposée à ce que la Ville accorde une allocations de rentrée scolaire aux familles les moins argentées -puis avait réussi à transformer cette allocation, versée sur un compte postal ou bancaire comme toute allocation, en octroi d'une carte de débit valable seulement dans certains commerces. On ne boudera donc pas notre soulagement à la voir se préoccuper du sort des sans-abris vivant dans les rues, sur les places, dans les sous-sols de la ville -et ils sont des centaines. Les prochaines élections municipales n'y sont pas pour rien ? Qu'importe : on votera (après l'avoir étudiée en commission) sa proposition d'un crédit de 1,8 million de francs. Reste que cet engagement supplémentaire de la Ville dans l'hébergement des sans-abris pose un problème politique : celui du désengagement des autres communes et du canton de cette responsabilité. Un désengagement qui fait de la Ville et des sans-abris les otages d'une non-répartition de la tâche de répondre à une urgence sociale.


Répartition des tâches ou non-assistance à personnes en danger ?

Sale farce, le 1er avril dernier : l'abri PC des Vollandes fermaient ses portes à la centaine de personnes sans autre abri que lui. En urgence, l'espace social du Caré ouvrait les siennes pour les accueillir. Mais le 6 mai, faute de ressources financières, il fermera lui aussi sa Halte de nuit. Que deviendront ceux qu'elle hébergeait, quand les lieux d'hébergement d'urgence en Ville de Genève sont tous saturés ? ils se débrouilleront dans les parcs, dans la rue, dans les sous-sols, dans les halls d'immeubles, à la gare, dans les abris bus. Là où ils pourront.
Ils (et elles) sont des centaines, à Genève, à être sans abri, ou sans autre abri que celui que peut leur offrir un hébergement d'urgence. Et lorsque nous écrivons "à Genève", c'est bien de la Ville de Genève dont il s'agit, parce qu'elle est la ville-centre, que les hébergements y sont, et que les sdf y sont aussi, ceux des quartiers de la ville mais aussi tous ceux venant des autres communes du canton, de la Côte vaudoise et de la France voisine.

Il n'y a de doute ni sur l'urgence d'une réponse à apporter, concrètement, à cette situation, ni sur la nécessité de financer cette réponse. Et que ce soit aujourd'hui la droite qui propose un crédit à cet effet ne nous empêchera pas de le voter. L'unanimité qui s'est dégagée sur le principe de ce soutien financier faisait plaisir (même mâtiné de quelques surprises) à entendre, et si les sans-abri avaient pu regarder le Conseil municipal à la télévision hier soir, la sollicitude unanime que le parlement de la Ville a exprimé à leur égard leur aurait fait au moins chaud au coeur. Mais il faut aller plus loin, et plus profond, que cette réponse urgente à l'urgence sociale, et il faut bien poser le problème politique du partage des responsabilités matérielles d'une réponse structurelle.

Nous avons déposé déjà une motion sur la nécessité d'une politique de logement et de resocialisation des plus précaires (elle est à l'ordre du jour, il nous faut encore une majorité pour accepter de l'étudier en commission). Nous allons aller plus loin, et proposer un instrument pérenne engageant toutes les communes du canton, et le canton lui-même, aux côtés de la Ville dans une offre suffisante d'hébergement, toute l'année et dans des conditions dignes de Genève, de la population la plus précaire du canton -celles des sans-abris, des sdf.

En 2014, dans un communiqué commun, le Conseil d'Etat et l'Association des communes genevoises reconnaissaient que "le principe actuel de la répartition, selon lequel les communes se chargent de l'action sociale communautaire et le canton de l'action sociale individuelle, n'est pas toujours simple à suivre. La distinction entre ces deux champs d'action publique pour sa part reste malaisée, toute action sociale communautaire visant au final à l'amélioration de la situation sociale ou économique d'individus". En effet, qu'en est-il, par exemple, de l'hébergement d'urgence des sans-abris, assumé quasi exclusivement par la Ville de Genève pour toutes les autres communes (et le canton) ? Est-ce de l'action sociale communautaire ou de l'action sociale individuelle ? Et si c'est de l'action sociale communautaire, de la compétence des communes, est-il acceptable que la Ville l'assume seule ou presque, et que les autres communes s'en déchargent sur elle ? Et si c'est de l'action sociale individuelle, de la compétence du canton, comment justifie-t-il de la laisser à la charge d'une seule commune ? A ces deux questions assez simples, la réponse sera la même, encore plus simple : non.

Il est vrai que la situation actuelle est extraordinairement confortable pour les autres communes et le canton : elles et ils savent pertinemment que même si elles et ils ne lèvent pas le plus petit doigt et le plus petit crédit pour assurer l'hébergement des sans-abris, cet hébergement sera assuré. Par la Ville. Pourquoi dès lors feraient-elles, et ferait-il, le moindre effort puisque la Ville le fera à leur place ? Et qu'elle n'a aucun moyen de leur imposer le partage des responsabilités qui s'impose. Et qu'elle pourra toujours leur demander d'accepter ce partage, elles et ils feront de cette demande ce qu'ils veulent. C'est-à-dire rien.

La Ville de Genève est certes la commune-centre, et la principale du canton, elle regroupe certes 40 % de la population du canton (et 20 % de celle de la "grande Genève"), mais elle n'a pas à suppléer seule (ou presque) à l'absence d'engagement du canton et des 44 autres communes.
Ou alors, qu'on cesse de nous rebattre les oreilles avec une "nouvelle répartition des tâches" qui, sur le terrain de la misère sociale dans la rue, n'est qu'un abandon de toute responsabilité sur ce terrain.
Ce qui, en bon français, s'appelle de la non-assistance à personnes en danger.

Commentaires

Articles les plus consultés