L'Italie dans le labo du docteur Maboul


D'une chimère l'autre

L'Italie a toujours été un laboratoire politique -elle l'était déjà bien avant que d'être un Etat. Mais ce qui sort d'un laboratoire a parfois, comme dirait Mary Shelley, de quoi inquiéter. Après tout, si l'Italie de Machiavel a inventé la science politique, celle de Mussolini a inventé le fascisme. Que nous inventerait celle de Salvini ? Ni les populistes des "5 Etoiles" ni les "sociaux libéraux" du Parti Démocrate n'ont voulu courir le risque de l'expérience. Ils se sont alliés pour former un gouvernement sans Salvini et sa Ligue, sous la présidence de celui qui présidait déjà le gouvernement de l'alliance entre les "5 Etoiles" et la Ligue fascisante, Giuseppe Conte. C'était cela ou des élections législatives anticipées dont les sondages donnaient tous la Lega (actuellement soupçonnée d'avoir tenté de faire financer sa campagne électorale des Européennes par la Russie poutinienne) gagnante. Mieux valait sans doute accoucher d'une nouvelle chimère... Reste toutefois à la faire vivre...


De l'alliance de la carpe et du lapin à celle de la tanche et du lièvre

L'alliance du populisme vaguement gauchisant des "5 Etoiles" et du populisme clairement fascisant de la Ligue a donc été rompue par le chef (on résiste à l'envie de le qualifier de Duce) de la seconde, qui, confiant en les sondages qui l'en donnaient vainqueur, voulait des élections générales pour gouverner seul. Cette alliance entre la Lega et le M5S était plus que contradictoire : elle était absurde. Salvini sans doute y croyait comme Saint Augustin en les dogmes catholiques : précisément parce qu'ils sont absurdes. La suite de l'alliance, d'ailleurs, était plus absurde encore que l'alliance elle-même : le partenaire mineur (la Ligue) a siphonné le partenaire majeur (les 5 Etoiles) et provoqué la chute du gouvernement dont il était membre, alors même que les 5 Etoiles forment le plus important groupe du parlement. Salvini a joué plus gros qu'il pouvait, et il a perdu : pour éviter le vote d'une motion de censure, le Président du Conseil (autrement dit : le Premier ministre) Giuseppe Conte a choisi de démissionner... et le principal parti d'opposition , le Parti démocrate, de faire alliance avec le principal groupe du parlement, celui des "5 Etoiles".

Et la gauche italienne, alors, où est-elle ? Comme dans un film de Moretti (ou comme la gauche française) : nulle part. Le Parti démocrate était certes la principale force d'opposition parlementaire, mais, assez "macronien", il n'est guère qu'à la gauche de la Lega et de Berlusconi (sur nombre de thèmes importants, le M5S est plus à gauche que lui), ce qui ne tient pas d'une glorieuse performance politique...

Ainsi est-on passé de l'alliance de la carpe et du lapin à celle de la tanche et du lièvre. Avec un dindon de la farce : Salvini. Mais pour que l'étrange alliance du populisme gauchisant et du social-libéralisme puisse être scellée, il aura fallu à chacun des deux partenaires avaler quelques couleuvres -ce qui n'est guère dans le régime alimentaire des lièvres ni des tanches : les démocrates veulent "détricoter" les décrets anti-migrants de Salvini, rouvrir les ports aux navires des ONG, cesser de réprimer les navires de sauvetage en Méditerranée, respecter les conventions internationales, être un partenaire européen loyal (encore faudrait-il que l'Europe elle-même soit un partenaire loyal de l'talie...) Et le M5S propose la nationalisation des entreprises stratégiques et la réduction du nombre des parlementaires., et voulait surtout maintenir Conte à la présidence du gouvernement et Di Maio à la vice-présidence, Avant que l'accord soit scellé entre le PD et le M5S, seuls 21 % des Italiens sondés y étaient favorables (mais 51 % des partisans du PD partageaient cet avis) alors que 33 % (en gros, l'électorat annoncé de la Lega) auraient préféré des élections anticipées. L'épisode aura au moins confirmé la certitude machiavélienne que la capacité de conquérir le pouvoir peut ne pas s'accompagner de celle de le garder : Salvini, qui avait le pouvoir à portée, avait peut-être la première -Conte, qui l'a gardé, a sans doute la seconde.

Et le peuple italien, dans tout ça ? Le voilà avec un gouvernement. Ni vraiment nouveau, ni vraiment le même qu'avant. Sans doute peut-on dire des Italiens ce que Montaigne dit des Français : "Quelque facilité que leur prête fortune au changement, (lors) même qu'ils se sont avec grandes difficultés défaits de l'importunité d'un maître, ils courent à (en) replanter un nouveau avec pareille difficultés, pour ne se pouvoir résoudre de prendre en haine la maîtrise".


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