Notes de frais des magistrats de la Ville de Genève : on va pouvoir (re)faire de la politique...


Il y a un an, la Cour des comptes genevoise rendait un rapport ravageur sur les pratiques coutumières de la Ville de Genève s'agissant des notes de frais et des dépenses personnelles et professionnelles mêlées des membres de son Exécutif -et trois d'entre eux se retrouvaient sur la sellette (les deux socialistes n'étant pas touchés). La Cour avait émis onze recommandations, qu'après avoir un peu rechigné, le Conseil administratif a décidé de suivre, en s’attirant les félicitations de la Cour et en produisant un nouveau règlement (fin 2018, seul un quart des communes genevoises s'étaient dotées d'un tel règlement, auquel rien n'oblige d'ailleurs les communes, et qui est de la compétence exclusive de l'Exécutif municipal). Donc : plus de cartes de crédit pour les magistrats, ni d'allocation forfaitaire pour les repas du Directeur général, une exigence générale imposée aux membres du Conseil administratif de fournir des justificatifs de leurs dépenses remboursables pour les élus au Conseil administratif, encadrement des voyages et des déplacements et des dépenses de téléphone... Un vrai coup de sac. Pour toutes et tous, sans privilèges, en somme... On attend donc un effort comparable de la part du Conseil municipal lui-même, s'agissant de ses propres membres. Après tout, il coûte entre deux et trois fois plus cher à la Ville (et à ses contribuables) que le Conseil administratif...

Faire, ou refaire, de la politique. Au vrai sens du terme.

Il n'y a pas que le Conseil administratif de la Ville qui s'est retrouvé dans le collimateur de la Cour des Comptes pour les notes de frais de ses membres : il y eut aussi le Conseil d'Etat. Sollicitée par la Commission de contrôle du Grand Conseil, la Cour n'eut cure du refus du gouvernement de laisser enquêter sur les frais professionnels remboursés aux magistrats cantonaux. Des dépenses fort inégales : en 2017, le PDC Luc Barthassat s'était fait rembourser 25'453 francs, plus de huit fois ce que la socialiste Anne Emery-Torracinta s'était fait rembourser (en Ville aussi, c'est une socialiste, Sandrine Salerno, qui avait remporté la palme de la modestie). Bref, la Cour des Comptes a rendu son rapport : si elle n'a pas noté de dépassements condamnables (elle n'a pas contrôlé l'opportunité politiques ou morale des dépenses et de leur remboursement), elle a tout de même relevé "une absence de règles claires en matière de définition et de prise en charge" des frais professionnels, et invité le gouvernement à y remédier. Ce qu'il entend faire.

Quant à l'Exécutif de la Ville, lui aussi a suivi les recommandations de la Cour des Comptes. Et est allé plus loin dans la réforme de ses propres pratiques que ce que l'Exécutif du canton annonce. Rémy Pagani s'était fait rembourser des cafés et des tickets de parking, alors que ce genre de petits frais étaient largement couverts par l'indemnité forfaitaire, en sus de l'indemnisation des frais de représentation à hauteur de 7000 francs par an ? Il ne le pourra plus. "Aucun frais privé ne doit jamais être payé par la collectivité et tous doivent être justifiés", avait proclame le Maire sortant, Sami Kanaan. Soit. On ne remboursera plus des dépenses "somptuaires", les alcools forts ni le taxi (sauf s'il est le seul moyen de transport disponible), les participants aux repas remboursables devront être mentionnés, une procédure de vérification des justificatifs a été mise en place, l'utilisation de l'avion a été restreinte, le directeur général a perdu ses privilèges, les abonnements téléphoniques ont été revus, le contrôle interne sera renforcé et disposera de personnel supplémentaire et les frais professionnels des magistrats seront rendus publics. Mais qu^'est-ce que les conseillers municipaux vont pouvoir se mettre sous la dent au moment des questions et des interpellations orales ?

L'indemnisation forfaitaire pour frais de représentation et les remboursements au cas par cas de dépenses liées à l'exercice du mandat de magistrat faisaient double emploi, et leur cumul était incompréhensible à la population. Il conviendrait donc de renoncer soit à la première, soit aux seconds. Mais on a eu tort de renoncer, au moins dans un premier temps, à l'allocation : plus simple à gérer, et plus transparente, elle devrait suffire à couvrir toutes les dépenses des conseillères et conseillers administratifs, en tant qu'elles sont liées à leur mandat, et on pourrait en finir avec les remboursements de frais (location de voiture, taxi, transports, hôtel, petits cadeaux offerts à des tiers etc...) s'ils sont couverts par une indemnisation forfaitaire annuelle, unique et suffisante, fixée par exemple au niveau annuel d'un mois de salaire brut.. A chaque magistrat et chaque magistrate de se débrouiller avec ce qu'ils reçoivent -après tout, la majorité de leurs administrés ne font rien d'autre. Et certains (dont l'auteur de ces lignes) vivent un an avec un revenu total inférieur aux seuls frais "professionnels" remboursés par la Ville à certains conseillers administratifs...

Cette clarification (la suppression des notes de frais et l'octroi d'une allocation forfaitaire couvrant les frais professionnels) éviterait de transformer le ou la ministre des Finances de la Ville en sous-chef comptable chargé de tamponner les quittances de ses collègues. Comme si on élisait des magistrats municipaux pour ça... il nous semble qu'on les élisait pour assumer des responsabilités et faire des choix politiques -mettons cette illusion sur le compte de l'archaïsme de nos réflexes militants... et sortons de cette picrocholine histoire de notes de frais pour faire, ou refaire, un peu de ce pourquoi nous avons été élus et parfois revendiquons de pouvoir l'être à nouveau : de la politique. Au vrai, fort, sens du terme.






Commentaires

Articles les plus consultés