Politique culturelle genevoise : l'avant-projet de trois mois


Da capo !

Il avait été rendu fin juin, il a été repris fin septembre. Il aura vécu trois mois, l'avant-projet de message du Conseiller d'Etat Thierry-Apothéloz sur la politique culturelle genevoise : face à l'opposition des milieux culturels, l'absence de soutien des partis politiques, et à la déception de son alter ego municipal, Sami Kanaan, Thierry Apothéloz a retiré son texte, en lequel, le 1er juillet, la "Tribune de Genève" décelait pourtant de "sages dessins pour la culture"... C'était la première fois qu'un tel message était publié à Genève, mais il y avait un malentendu sur la place du texte, sur son ambition : il a été pris comme une feuille de route pour la concrétisation de l'initiative "pour une culturelle cohérente à Genève", ce qu'il n'était pas : "il fallait considérer ce texte comme une étape préalable" dans un dispositif qui "se voulait ouvert, participatif et contributif". Le moins que l'on puisse dire est que le Conseiller d'Etat et son texte auront été mal compris... Et donc, pour le débat sur la politique culturelle genevoise, un seul mot d'ordre : Da capo !


Et maintenant, on fait quoi, comment, et avec qui ?


L'avant-projet de message sur la politique culturelle genevoise a donc été rejeté par les milieux culturels, et sévèrement critiqué par les partis politiques auxquels il était destiné pour "préparer les esprits" parlementaires lorsqu'il s'agira de concrétiser les prescriptions légales (celles de la loi sur la culture et de la déclaration conjointe Ville-canton de 2013 et de la loi sur la répartition des tâches de 2016), du moins celles qui peuvent l'être, et les proclamations constitutionnelles (celles de l'initiative populaire, notamment), et on sait les réticences, pour dire le moins, de la majorité du Grand Conseil à tout engagement réel et pérenne du canton dans le champ culturel, face à quoi les quelques propositions concrètes du message (la création d'un Musée de la bande dessinée, d'une Maison de la danse, le financement de la troupe de la Comédie et du Ballet du Grand Théâtre), tout cela pour 18,4 millions supplémentaires au budget cantonal, risquaient fort d'être refusées Quand on veut donner au canton un poids nouveau sur la politique culturelle, il faut tout de même obtenir de quoi la financer -et cela ne dépend pas de Thierry Apothéloz, mais d'une majorité parlementaire.

Thierry Apothéloz projette d'organiser une série de rencontres thématiques afin de parvenir d'ici à avril 2020 "à une position aussi partagée que possible". Mais "partagée" par qui ? Parce que les partenaires nécessaires d'un consensus sur la politique culturelle genevoise sont presque aussi nombreux que les thèmes possibles de discorde : Il y a sd'abord les milieux culturels ("La culture lutte" et le Comité de l'initiative "pour une politique culturelle cohérente", mais aussi les grandes institutions) qui attendent du Conseiller d'Etat le projet d'une vraie refonte de la politique culturelle -l'"avant-projet de message" n'avait pas cette ambition (il ne contenait ni échéances, ni modalités de financement, ni cadre de consultation), et il est peu vraisemblable que quelque projet que ce soit de refonte de la politique culturelle fasse l'unanimité des milieux culturels. Et le Conseil consultatif de la culture n'avait même pas été consulté sur l'avant-projet de message. Il y a ensuite le canton, évidemment, mais les positions du Conseil d'Etat et celles du Grand Conseil sont rarement convergentes dans ce domaine; il y a les partis politiques, tout aussi divisés sur les questions en suspens, et dont certains n'ont d'ailleurs aucune espèce de projet de politique culturelle; il y a les communes (L'Association des communes genevoises attend des réponses sur les questions de soutien à la création et à la diffusion, et de financement), mais l'engagement culturel de la Ville est incomparable à ceux des autres communes, et celui des autres villes du canton n'a pas grand chose de commun avec celui des "petites" communes.

C'est tout le problème d'une proclamation constitutionnelle : pour être traduite dans les faits, sur le terrain, dans la réalité, il faut qu'une loi soit adoptée pour l'appliquer (ou que la loi existante soit modifiée en fonction des impératifs de la norme constitutionnelle), puis un règlement d'application pour appliquer la loi, et un budget . Or on est, au niveau du canton, encore bien loin de tout ça (il n'y a d'ailleurs même pas de commission de la culture au Grand Conseil...), et d'une majorité parlementaire cantonale capable de répondre à ces enjeux. Et pour couronner le tout, il faut encore revoir la loi sur la culture : l'adoption de l'initiative populaire "pour une politique cohérente" y oblige. Aujourd'hui, et depuis longtemps, et sans doute pour longtemps encore, l'acteur institutionnel le plus important de la politique culturelle n'est pas le canton mais la Ville : les presque 260 millions qu'elle consacre à sa propre politique culturelle sont sans équivalent cantonal (le budget culturel du canton stagne péniblement à 34 millions -les engagements proposée par l'avant-projet de message de Thierry Apothéloz y auraient ajouté 18 millions et demi). Or elle n'avait pas été consultée en tant que telle sur l'avant-projet de message, et ne l'avait reçue que par l'intermédiaire de l'Association des communes genevoises où elle n'est à peine plus qu'une commune parmi d'autres.

Faut-il attendre que le canton cesse d'être obsédé par la Ville pour qu'il accouche d'une politique culturelle ? Parce que ça risque de prendre longtemps. Très longtemps. Trop longtemps.


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