S'"immerger au coeur des religions" ou "assécher l'infâme" ?


Non de Dieu de noms de dieux

On trouvait deux infos intéressantes, dans "Le Matin Dimanche" : L'annonce d'une "sacrée exposition" à Genève (Palexpo, jusqu'au 19 janvier), "Dieu(x) modes d'emploi", présentée comme une "immersion unique au cœur des religions de notre monde", athéisme compris, et la relation des prêches de l'imam intégriste d'une mosquée de Kriens, à Lucerne, rappelant à la fois l'imminence de la fin du monde et le droit des hommes à frapper les femmes, et à les empêcher de quitter leurs maisons sans la permission du mâle dominant. Disons, pour le moins, qu'il y a des conceptions religieuses en lesquelles on n'a pas une furieuse envie de s'"immerger". Et pour lesquelles on a plutôt à chercher le moyen d'un assèchement.


La religion ne s’éteint pas, elle s’embourbe.

"La religion n'est plus le moteur de l'histoire, le centre d'une civilisation", observe le philosophe Abdennour Bidar. Elle n'est plus qu'un "phénomène social et culturel parmi d'autres" -et c'est précisément ce que la laïcité permet. Le christianisme et l'islam ont tout deux (le bouddhisme et le confucianisme aussi, d'ailleurs, dans leurs mondes respectifs) en commun d'avoir été ce "moteur de l'histoire", ce "centre d'une civilisation" qu'ils ne sont plus-et qu'il faut se garder de voir redevenir, avec leur transcendance écrasante et, au sens propre du terme, totalitaire, qui ne laisse, résume Bidar, d'autre attitude possible que "la prosternation et la soumission" à qui tient à survivre et à ne pas finir sur un bûcher, sous un sabre ou sous les balles d'une kalachnikov, allumé, brandi, armée au nom de la religion.

On dira que nous n'en sommes plus en Europe aux temps féroces des guerres de religion ? L'Europe n'est pas le monde, et si, dans notre semi-continent, la sécularisation, d'une part (avec comme projet logique, mais non encore réalisé -même là où il est proclamé- la laïcité), l'immigration d'autre part, rebrassent les cartes religieuses.

Les religions d'Europe, aujourd'hui, sont monothéistes ?  mais aucune des trois grandes (par le nombre de leurs fidèles ou par leur influence culturelle) religions monothéistes n'est née en Europe, toutes y ont été importées du Moyen-Orient -ce qui devrait relativiser considérablement la référence aux "racines chrétiennes" d'une Europe dont, si l'on veut bien porter le regard au-delà de Charlemagne, les racines sont païennes (à commencer par celles grécques et latines, mais sans oublier celles germaniques et celtiques). Le monothéisme est-il d'ailleurs un progrès par rapport au polythéisme ? Il a réduit les dieux multiples à un dieu unique mais cette réduction est bien porteuse d'une menace : parce que leur Dieu est exclusif de tous les dieux, les monothéismes sont a priori exclusifs de toutes les autres religions (sans pour autant que celles-ci soient préservées de l'intégrisme purificateur : le fondamentalisme hindou le prouve clairement, qui a à son bilan des milliers de morts musulmans, et des groupes bouddhistes cinghalais mènent des actions violentes contre les Tamouls hindouistes. Le progrès supplémentaire serait, logiquement, de réduire l'unicité divine à la vacuité et de passer du Dieu unique à pas de dieu du tout...

Apparemment, à défaut d’être déjà mort, Dieu serait subclaquant. Mais ce cancer a ses métastases, ce cadavre ses parasites : les églises traditionnelles s’endorment doucement, d’autres, souvent pires, naissent de leur soue.

Selon une étude de Gallup, en 2012, menée dans 40 pays (toute l'Europe, toute l'Amérique du nord, la Chine, l'Inde etc..., mais pratiquement pas en Afrique et dans seulement la moitié de l'Amérique latine), pas plus de 13 % de la population serait athée, 23 % "non religieuse" ou agnostique, 59 % "religieuse" et croyante en un dieu, plusieurs dieux ou quelque principe surnaturel. Les proportions d'athées et de "non religieux" les plus élevées se rencontreraient en Chine, en République tchèque, au Japon et en France, les plus faibles en Amérique latine (sauf en Argentine), en Europe de l'est (sauf en Pologne et en Russie), en Afrique et au proche et moyen-Orient. Dans plusieurs pays, en particulier des pays où l'islam est religion d'Etat, l'athéisme est un délit, voire un crime et est donc sanctionné par la loi. Dans d'autres, comme aux Etats-Unis, c'est la pression sociale qui contraint l'athée à ne pas s'exprimer librement. L'enquête Gallup ne donne pas le pourcentage d'athées au Vatican. Impardonnable lacune.

La religion ne s’éteint pas comme un incendie : elle s’embourbe comme une inondation. Et cela prend du temps : au début du XXIème siècle de l’ère chrétienne, 70 % des Français se faisaient encore enterrer religieusement (du moins leur famille l’avait décidé pour eux). Que la mort soit toujours révoltante est d’autant plus évident qu’elle est devenue invisible, sauf comme spectacle. Le passage vers le néant doit être marqué, les religions sont là pour cela, et à cela au moins –mais à cela seul- peuvent-elles encore servir. Et puisque nul ne vit autrement qu’entre une naissance qu’il n’a pas choisie et une mort qu’il ne peut éviter, autant ajouter à l’absurdité de ce passage l’absurdité du signe qui le clôt. Ce signe est un signe de mort, et un signe mort : que les cadavres des hommes soient accompagnés de celui de leurs dieux rendrait enfin les hommes égaux des dieux qu'ils se sont donnés.

Commentaires

Articles les plus consultés