Algérie, Liban, Irak : L'alternative est dans la rue



En Irak, des centaines de personnes ont été tuées dans des manifestations contre le pouvoir et la mainmise iranienne. Au Liban, la colère de la rue a poussé le Premier ministre à la démission. Et en Algérie, le jour même 65ème anniversaire du début de la guerre d'indépendance, des centaines de milliers de personnes dans les rues d'Alger exigent le départ d'un pouvoir qui a confisqué cette indépendance : c'est une Algérie ingouvernable que le pouvoir de fait convoque aux urnes le 12 décembre. Les manifestations ne cessent pas, malgré une répression accrue. Les cinq candidats retenus par le pouvoir sont tous d'anciens ministres -deux d'entre eux, Ali Benflis (déjà candidat deux fois) et Abdelmadjid Tebboune, ont été premiers ministres de Bouteflika. En Irak, au Liban, en Algérie, l'alternative aux pouvoirs en place est dans la rue.

"Vous n'êtes pas les premiers colonisateurs, vous partirez comme les autres"


Quelle alternative au pouvoir en place et à ses propres règlements de comptes ? Il y a bien une opposition en Algérie, qui va des islamistes à la gauche révolutionnaire, mais elle a été dépassée par une contestation qu'elle ne contrôle pas, et qui la tient en méfiance. Réduite à pas grand chose par des décennies d'autoritarisme et dix ans de guerre civile, elle salue les manifestations, mais dans un choeur très dissonant. Certains partis acceptent de participer aux élections, d'autres (comme le FFS et le RCD) s'y refusent, au nom d'une exigence de changement radical : ce qu'ils exigent, c'est une Constituante, librement élue -à cette élection-là, ils accepteraient de participer, mais pas à des présidentielles verrouillées par le pouvoir en place. La quasi-totalité de l'opposition, des islamistes aux démocrates laïques annonce qu'elle boycottera la présidentielle.

Depuis février, le peuple algérien s'émancipe. Il s'émancipe dans la rue. Il s'émancipe de "son" pouvoir -un pouvoir qu'il n'a jamais réellement pu choisir, pas plus qu'il n'a réellement pu en choisir les titulaires : "nous sommes colonisés depuis 190 ans", par les Français d'abord, le FLN et l'armée ensuite.  Fin octobre, ce sont plus de 20 millions d'Algériennes (leur participation est massive) et d'Algériens qui ont participé, en huit mois, aux manifestations contre le régime en place. Tout le régime en place : le président Bouteflika et son clan, bien sûr, mais aussi le chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, les caciques civils -du gouvernement, de l'Assemblée, du Sénat. l'ancien parti unique (le FLN) et le syndicat encore unique, l'UGTA... Le pouvoir a choisi la répression -une répression encore moins féroce que naguère, mais nul en Algérie ne doute de sa capacité à aller vers le pire quand rien ne l'y retient. Pour l'heure, il restreint les espaces de liberté que les manifestants avaient arrachés, harcèle les contestataires, arrête et emprisonne des manifestants, des journalistes, des animateurs du "Hirak" (le mouvement populaire) et même des dirigeants politiques, comme la dirigeante du Parti des Travailleurs, Louisa Hanoune, ou le président du Rassemblement Action Jeunesse Abdelwahab Fersaoui, en les accusant de crimes comme l'"atteinte à l'intégrité du territoire" ou l'"incitation à la violence".

Après plus de huit mois de contestation dans la rue, l'Algérie, résume le correspondant du "Monde", est "comme une mèche qui se consume et raccourcit inexorablement à mesure que s'approche l'échéance du 12 décembre". Mais qui l'a allumée, cette mèche ? le "hirak" ? Non, le système lui même. Il s'y est obstiné, persuadé que le souvenir de la "décennie noire" et ses 200'000 morts et disparus allait étouffer la contestation. Mais c'est un autre souvenir, venu d'il y a 65 ans, qui a lancé dans les rues le chant des partisans et les cris de "pouvoir assassin !", d'"indépendance, indépendance !" et de "Tahia Djazaïr !", des centaines de milliers de personnes rien qu'à Alger, et des centaines de milliers d'autres dans le reste du pays : le souvenir du 1er novembre 1954, du déclenchement de l'insurrection armée qui allait aboutir à l'indépendance de l'Algérie. L'indépendance ? la création d'un Etat algérien -mais pas encore d'une démocratie algérienne. A Alger, les manifestants, dont l'héroïne de la Bataille d'Alger Djamila Bouhired, 84 ans,  brandissaient le portrait d'un ancien combattant, le vieux moudjahid Lakhdar Bouregas, 86 ans, arrêté pour "atteinte au moral de l'armée" après avoir lancé ce message : "chaque génération choisit son parcours. (la nôtre) a choisi de libérer la terre et les jeunes du Hirak ont choisi de libérer la patrie". Et une affichette lance au pouvoir : "vous n'êtes pas le premier colonisateur, vous partirez comme eux sont partis". Mais "eux" ne sont partis qu'après 130 ans. Dans la rue, les Algériens clament qu'ils n'attendront pas si longtemps.


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