Et si l'information radiotélé d'Etat déménageait à Lausanne ?


L'atour de la télé

Le Conseil d'Etat genevois, se réveillant un peu tard, dénonce le projet de déménagement à Lausanne du secteur de l'information de la Radiotélé romande comme une "trahison" de l'engagement de Genève (et de son Conseil d'Etat) aux côtés de la SSR lors de la campagne contre l'initiative "No Billag". Campagne victorieuse (l'initiative a été refusée), saluée à sa manière par la SSR : en annonçant un plan d'"économies" de 100 millions de francs, impliquant la suppression de 250 emplois en quatre ans, dont 50 à 75 par des licenciements. Mais qu'on se rassure : "nous ne couperons pas dans le sport", promet le directeur général de la SSR en juin 2018, Gilles Marchand. "Surtout pas". Merde alors, ça aurait été pourtant l'occasion... mais c'est dans l'information "que nous effectuerons une part significative des économies", précise Marchand. D'entre ces économies, peut-être le déménagement du secteur de l'information de Genève à Lausanne (et en Alémanie de Berne à Zurich ). L'occasion de s'interroger sur le rôle des media (privés ou d'Etat) avant de hurler à l'égorgement quand l'un menace de déménager de 60 kilomètres...


Le formidable mensonge de McLuhan


Le modernisme technologique nous assure que nous sommes partie prenante du plus gigantesque réseau de communication jamais réalisé : l’Internet. Nous le sommes, en effet, comme la mouche de la toile de l’araignée qui va s’en nourrir. Les informations (mais lesquelles ?) circulent pour que les gens restent immobiles, rivés à leur ordinateur ou leur portable, autistes coupés du monde réel mais branchés en permanence sur des simulacres, et réceptifs aux sommations d’être conformes à ce que l’on attend qu’ils soient. S’illustre alors le formidable mensonge de Mac Luhan : le medium n’est pas le message, le nouveau medium ne suscite pas un nouveau message, et le bombardement de vacuité auquel est soumis le « public » se fait aussi bien par l’imprimerie que par l’Internet : pour ce pilonnage, la couleuvrine moyenâgeuse convient aussi bien que le bombardier furtif -on en recevra toujours la même merde.

Dans la longue histoire des moyens de communication entre les hommes, jamais une innovation technologique n’a annihilé les technologies antérieures, et toujours s’y est-elle ajoutée. Certes, les modes spécifiques anciens de production et de diffusion de l’information ont été déplacés des lieux de production vers les musées -mais si on n’utilise plus de tablettes de cire pour écrire, on écrit toujours et si on n’utilise plus de linotype dans les imprimeries, on imprime toujours ; si on ne filme plus avec des caméras manuelles, on filme toujours et si on ne projette plus avec les projecteurs des frères Lumière, on diffuse toujours des images animées et enregistrées. L’Internet s’ajoute à l’édition, à la radio, au cinéma, à la télévision -il ne les supprime pas.

Communique-t-on d’ailleurs par les nouveaux media autre chose que ce que l’on communiquait par les anciens ? Et par la télévision, la vidéo ou l’Internet, dit-on, écrit-on, montre-t-on autre chose que ce qui déjà fut dit, écrit, montré ? Les bonnes questions sont celles qui restent sans réponse :  Héraclite les posait déjà, et des philosophes d’avant le déluge nous sont plus utiles, c’est-à-dire plus provocateurs de troubles, et donc de réponses, que les spécialistes d’aujourd’hui. Mais les questions qu’Héraclite posait -et comme lui, toutes celles et tous ceux qui, en leur temps, révolutionnèrent la culture, parfois sans même le vouloir- il les posait par des mots dont la charge s’est perdue. Ainsi des mots révolutionnaires deviennent-ils des slogans réactionnaires ; ainsi des concepts subversifs deviennent-ils l’épice de ce qu’il y a de moins subversif dans le brouet culturel quotidien : Mustapha Khayati, pour l’Internationale Situationniste, l’écrivait en mars 1966, et nous n’avons plus d’un demi-siècle plus tard rien à en retrancher : « Les mots forgés par la critique révolutionnaire sont comme les armes des partisans, abandonnés sur un champ de bataille : ils passent à la contre-révolution ; et comme les prisonniers de guerre, ils sont soumis au régime des travaux forcés ».

La distinction de ce qui sert la communication dans sa forme présente et de ce à quoi peut nous servir de communiquer (est ce qui nous importe d’abord d’opérer. Les formes de communication existantes peuvent être dépassées dans leur usage même, et les moyens existants de communication détournés, mais on ne dépasse jamais que ce que l’on a atteint, et l'on ne détourne jamais que ce dont on est capable d’user. Notre emploi des moyens de communication existants contient, non le refus de toute communication, mais celui de toute la communication encore réellement existante ; nous laisserons à ceux à qui communiquer importe quoi que l’on communique, le soin d’inventer de nouveaux media. Nous en userons, et nous nous vouerons, nous, à ce qui nous importe : le contenu de la communication. Nous entendons faire de ces nouveaux media le plus mauvais usage social possible. Gutenberg « invente » l’imprimerie moderne et diffuse la Bible, mais l’imprimerie moderne finira par diffuser aussi L'Encyclopédie.

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