Quatre élections législatives en quatre ans : L'Espagne fatigue...


Le Premier ministre socialiste espagnol avait convoqué les quatrièmes élections législatives en quatre ans, et les deuxièmes de l'année, en espérant qu'elles allaient lui donner la majorité parlementaire dont il manquait : c'est raté. Le PSOE arrive certes largement en tête du scrutin de dimanche, avec 120 députés, mais la droite du PP (87 sièges) et l'extrême-droite (Vox, 52 sièges, un succès salué par Marine Le Pen et Matteo Salvini) progressent, les libéraux de Ciudadanos s'effondrent (10 sièges), la gauche de la gauche (Podemos, 35 sièges) recule -et les indépendantistes catalans progressent (23 sièges, sur les 48 députés catalans). Résultat : aucune majorité ne se dessine clairement : il faut 176 sièges pour l'obtenir et ni la gauche "nationale" (PSOE et Podemos), ni la droite démocratique (PP et Ciudadanos), ni même la droite élargie à l'extrême-droite de Vox ne passent la barre de la majorité. Comme dans les parlements précédemment élus, ce sont les partis régionalistes ou séparatistes catalans et basques qui font la différence  : leur abstention, ou le soutien d'une partie d'entre eux -la gauche républicaine catalane et le parti nationaliste basque, par exemple) peut permettre à une gauche unie (le PSOE et Podemos ont, après les élections, passé un accord de gouvernement)  de s'imposer.

La dépouille de Franco a été sortie de son mausolée pour rentrer aux Cortes...


Quatre élections législatives en quatre ans, deux en sept mois : on comprend la lassitude des électrices et des électeurs espagnols. Plus de 800'000 d'entre eux, soit plus de 2 % de l'ensemble du corps électoral, ont demandé de ne pas recevoir de publicité électorale.
Les deux partis qui promettaient un renouvellement profond du paysage politique espagnol sont les deux grands perdants des élections : Ciudadanos s'effondre à droite, Podemos recule à gauche. Au total, la droite et l'extrême-droite progressent, la gauche recule, et  le politologue  Fernando Vallespin résume : "la génération de la soi-disant rénovation politique (...) est une élite politique inopérante". Pedro Sanchez avait exhumé la dépouille de Franco et l'avait sortie de son mausolée -les élections l'ont faite rentrer au parlement.

En Catalogne, ce sont les indépendantistes qui tirent profit de la condamnation de neuf de leurs leaders à des peines délirantes pour "sédition". Dans le reste de l'Espagne, Pays Basque et Galice exceptés, c'est l'extrême-droite de Vox qui a bénéficié de l'incapacité du pouvoir central de proposer une "sortie de crise catalane" acceptable par les Catalans. Le leader de Vox, Santiago Abascal a exigé l'interdiction des partis "séparatistes", la suspension de l'autonomie catalane et l'arrestation du président indépendantiste catalan, Quinn Torra. Les autres partis de droite tentent de suivre l'extrême-droite sur ce terrain : le leader du PP, Pablo Casado, prône la reprise en mains par l'Etat central de la sécurité en Catalogne, celui de Ciudadanos, Alberto Rivera, reprenait de celui de Vox la revendication de suspension de l'autonomie catalane et de l'arrestation du président catalan...

Pedro Sanchez avait fait campagne en proclamant que "l'Espagne a besoin d'un gouvernement progressiste pour tenir tête au franquisme, aux extrémismes et aux radicaux". Mais de quel "gouvernement progressiste" Sanchez parlait-il ? d'un gouvernement minoritaire du PSOE seul, reposant sur l'abstention d'une partie du parlement et passant des alliances ponctuelles en fonction des projets ? Ou d'un gouvernement fondé sur une majorité de gauche intégrant Podemos, avec le soutien ou au moins l'abstention des gauches indépendantistes catalane, basque et galicienne ? C'est cette dernière solution qui finalement s'est imposée.

La constitution espagnole, issue de la "transition" post-franquiste, est celle d'une démocratie représentative sans contre-poids de démocratie directe. Tout dépend donc du parlement. Ce système ressemble comme un frère au système italien ou à la IVe République française (mais avec des "autonomies" régionales que la France n'a jamais connues). Il permet de "gérer les affaires courantes", mais pas de relever les défis historiques. Et d'entre eux, le plus urgent à relever est bien celui lancé par l'indépendantisme catalan, dont sept dirigeants ont publié un texte commun proclamant que "la solution à la crise catalane passe par le dialogue, la démocratie et l'autodétermination". Le dialogue avec qui, entre qui et qui ? La démocratie, certes, mais laquelle ? l'autodétermination, évidemment, mais dans quelles conditions, et quel cadre ? Un "gouvernement progressiste", souhaité par l'actuel Premier ministre socialiste, devrait être capable de répondre à ces questions et de changer ce système -sinon, à quoi bon un gouvernement "progressiste" ?


































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