Mise en service du "Léman Express" : Effacer la frontière


Depuis dimanche, le "Léman Express" circule autour du Léman, et passe la frontière (certes pas plus loin qu'Annemasse, puisque grève il y a -et aura encore- en France). La nouvelle ligne 17 reprend en outre la liaison transfrontalière en tram interrompue depuis 80 ans Toute la journée du dimanche, l'ambiance fut festive dans les trains et dans les gares genevoises du réseau -signe que les Genevois, au moins, n'ont pas attendu qu'il fonctionne au plus fort de ses capacités pour se l'approprier. Déjà une belle revanche sur les corvidés qui coassaient que le CEVA allait nous amener à G'nêêêêve la racaille d'Annemasse : c'était, vous en souvenez-vous, l'avertissement angoissé des opposants UDC et MCG au CEVA (et donc au Léman Express), qui oubliaient opportunément que ce réseau va aussi nous amener des Vaudois et même des Valaisans. Des rupestres qu'il ne valait pas la peine de mentionner ? Peut-être pour rassurer ces opposants, le parcours franco-genevois de la ligne reliant Cornavin à Annemasse sera truffé de caméras (il y en aura des centaines dans les gares et les terrains), arpenté par des patrouilles policières franco-suisses... et on a même prévu une cellule dans la gare des Eaux-Vives."Le Léman Express n'est pas un aboutissement mais plutôt le début d'une nouvelle ère", assure le Conseiller d'Etat Dal Busco. Il a raison : Grèves ou pas grèves, le train et le tram se foutent des frontières et les effacent. Et ce ne sont pas les moindres de leurs qualités.


Il y aura deux grandes villes dans la Grande Genève

Hosanna ! Genève, la Suisse, les CFF, la SNCF et la France ont concrétisé une convention vieille... de 107 ans ! Les gares de Cornavin, des Eaux-Vives et d'Annemasse sont reliées par le train (c'est le CEVA), Et comme cette liaison se prolonge d'un côté jusqu'à Saint-Maurice et de l'autre jusqu'à Evian et Annecy, on s'est doté du "plus grand réseau ferroviaire transfrontalier d'Europe" se rengorgent les Transports publics genevois, les CFF et la SNCF, "le chaînon manquant" dont le manque "nous a empêché d'entrer dans le 21e siècle", ajoute le Conseiller d'Etat genevois Serge Dal Busco. Les travaux qui auraient pu commencer en 1912 ne commenceront qu'en 2011, le tunnel de Champel ne sera percé qu'en 2017. 105 ans après la Convention initiale -le temps, notamment, de renoncer à un projet de "métro léger", de surmonter les 1600 oppositions reçues (venant notamment de Champel) et un accident de chantier, de digérer les surcoûts et de gagner un référendum. Et donc, on pourra désormais prendre un RegioExpress à Saint-Maurice pour se rendre à Annemasse. Ou, tous les quart d'heures, de Coppet à Annemasse. Et 80 % de la population du canton se retrouvera à moins d'un kilomètre et demi (un quart d'heure, vingt minutes à pied) d'une gare. Mais tout de même, quel temps perdu, notamment dans les années soixante, septante et quatre-vingt du siècle passé, à se prosterner (à Genève comme à Annemasse...) devant la déesse bagnole...

Le Léman Express devrait améliorer la circulation à Genève (et autour), et la vie des Genevois (et des habitants de sa couronne française), puisqu'il devrait réduite d'au moins 12 % le trafic automobile dans le canton (et plus encore en ville).  Mais il a un effet plus profond et plus heureux encore : celui de gommer une frontière absurde, que la réalité sociale, démographique, économique de toute la région a rendue plus obsolète encore que peut l'être toute frontière. Quand chacun aura pu vérifier ce qu'on peut attendre du Léman Express, "cela créera une union sacrée pour le rail", assure le Conseiller d'Etat Serge Dal Busco. Le Conseiller d'Etat est optimiste, ou feint de l'être : les Genevois étant ce qu'ils sont, certains continueront de réclamer des parkings, de refuser les zones piétonnes, de pester contre les pistes cyclables, d'entraver les transports publics. Mais peu importera sans doute : même si l'effet "Léman Express" ne sera pas totalement perceptible tout de suite, les pendulaires frontaliers et les habitants de la rive gauche du canton en bénéficient déjà depuis dimanche. Il y a évidemment un risque à cela, celui de l'"effet rebond" : une fluidité retrouvée de la circulation peut être attrayante pour ceux qui avaient délaissé leur bagnole du fait même des embarras de son usage dans une ville embouteillée. Il faudra bien être attentifs à ce que fluidité nouvelle du trafic genevois n'incite pas à l'usage de la bagnole là où précisément on n'en veut plus, ou moins, quand seuls 15 % des automobilistes urbains actuels sont contraints de l'être, pour des raisons professionnelles, géographiques, d'horaire ou de handicap... Il faut donc qu'à la mise en service du Léman Express et de la nouvelle ligne de tram vers Annemasse s'ajoute une politique de restriction des possibilités de parcage en ville (de ce point de vue, le parking des clés-de-Rive est en contradiction évidente avec ce qu'on attend du Léman Express), de traversée de la ville en automobile, de priorisation systématique des transports publics, de généralisation des zones 30 et de développement des zones piétonnes et des pistes cyclables. Sans quoi, la baisse de 12 % du trafic en ville, qu'on attend du nouveau réseau de transports publics, sera rapidement annulée -d'autant que la population de la ville, du canton et de la région va continuer d'augmenter aux rythmes annuels de milliers d'habitants en ville, de dizaines de milliers dans le canton et de centaines de milliers dans la "Grande Genève".

Le cœur du Léman Express, c'est le CEVA, les seize kilomètres de liaison entre Cornavin et Annemasse. Il fallait trois quarts d'heures pour faire le trajet de Rive à Annemasse par le bus 61, le nouveau tram 17, mis en service en même temps que le Léman Express, sera deux fois plus rapide. Et si Genève sera sans doute la principale ville bénéficiaire des effets du nouveau réseau, Annemasse aussi en attend beaucoup puisqu'elle deviendra la quatrième gare de la région Rhône-Alpes-Auvergne, avec des dizaines de milliers de voyageurs par jour. Annemasse n'est déjà plus une bourgade insignifiante et grise à la périphérie de Genève : c'est une ville de 36'000 habitants, une agglomération de presque 100'000 habitants. Le nouveau réseau y a déjà un fort impact sur le logement : on construit partout à Annemasse, où des centaines de millions d'euros sont investis dans des logements, des commerces et des infrastructures. 1500 nouveaux bâtiments sont ou vont sortir de terre. Du coup, des Français habitant à sa périphérie s'y installent, comme d'ailleurs des Français habitant Genève. La Municipalité (socialiste) a décidé de saisir au bond la balle du CEVA et du Léman Express (et de la "voie verte") : Annemasse va devenir le second pôle culturel de la région, et il va bien falloir que les Genevois s'y habituent : il y aura bientôt deux grandes villes dans la Grande Genève.






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