Politique de la santé et de l'assurance-maladie : Quand est-ce qu'on change ?


"Révolution au parlement" titrait "Le Temps" de samedi... quelle "révolution" nous avait donc échappé ? la réduction du nombre de représentants des groupes de pression du secteur de la santé, à commencer par celui des caisses-maladie, dans les deux commissions de la santé du Conseil National et du Conseil des Etats... "Révolution", c'est donc beaucoup dire pour une réduction des risques de conflits d'intérêt, grâce au renoncement des partis de droiteà présenter ou à représenter des hommes (ou des femmes)-liges des caisses maladioe ou des associations professionnelle des médecins. Un renoncement facilité par les échecs électoraux du PLR et de l'UDC : le président de l'association faîtière des caisses-maladie ("Santésuisse"), l'udéciste Heinz Brand, n'a en effet pas été réélu dans les Grisons. Des cinq udécistes liés aux caisses-maladie qui siégeaient dans la commission du Conseil national sortant, il n'en reste plus qu'un. Ce petit nettoyage d'hiver, cette perte de pouvoir direct des caisses-maladie (qui gardent un pouvoir indirect considérable), et le renforcement de la présence des représentants des prestataires de soins, notamment des hôpitaux, annonce-t-il un changement plus ambitieux de politique de la santé et de la protection sociale contre la maladie ? On se gardera bien de l'annoncer -on se contentera de l'espérer, sans grande illusion : la majorité du parlement est toujours à droite, celle du gouvernement aussi, le ministre de la santé est toujours ligoté par le cadre "libéral" du système d'assurance-maladie... et même les propositions de réformes avancées par la gauche se gardent de remettre fondamentalement en cause ce cadre...


"Nous voulons fermer la parenthèse néo-libérale"
 
Les primes d'assurance maladie auront augmenté de 0,2 %, en moyenne suisse, au début de cette année. Une moyenne qui cache, comme toujours, de fortes disparités : si les primes augmentent de 2,9 % à Neuchâtel, elles baissent de 1,5 % à Lucerne. A Genève, elles augmentent de 0,5 %. "Nous avons baissé d'un milliard de francs le prix des médicaments depuis 2012", se félicite le ministre de la Santé, Alain Berset. Le prix des médicaments baisse, tout en restant supérieur à ce qu'il est dans les pays voisins, mais pourquoi alors les primes continuent-elles, en moyenne et dans la plupart des cas, d'augmenter ? Le Conseiller d'Etat genevois Mauro Poggia a une explication : la libéralisation du marché de la santé, et le lien entre la densité médicale (le nombre de cabinets médicaux et de prestations de soins à domicile, à quoi s'ajoutent une rémunération des médecins plus élevée qu'ailleurs et une surmédication de 20 % ) et le niveau des primes, d'où sa revendication que les cantons puissent contrôler l'installation de nouveaux cabinets médicaux : "les coûts de la santé ne sont absolument pas maîtrisés" puisque le nombre de médecins, et d'entre eux de spécialistes, ne l'est pas. Le directeur de l'association de caisses-maladie (dont la CSS et Helsana) Pius Zängerle, n'est évidemment pas de cet avis : pour lui, les grands fauteurs d'augmentation des coûts (et donc des primes), ce sont les hôpitaux publics, et donc les cantons, qui "font chacun dans leur coin leur propre planification hospitalière" et s'offrent des hôpitaux "souvent luxueux" (comme les sièges de certaines caisses-maladie ?) et se battent pour que les patients restent à l'hôpital au lieu d'être soignés en ambulatoire... Et de s'en prendre précisément à Vaud et Genève (et à Pierre-Yves Maillard, Rebecca Ruiz et Mauro Poggia) qui subventionnent "de façon exorbitante les hôpitaux via les prestations d'intérêt général". Une manière pour les assureurs de rejeter sur les politiques cantonales la culpabilité de la hausse des primes qui leur sont versées : Zängerle chante les louanges de la concurrence qui "donne la liberté de choix". Entre des primes élevées, des primes très élevées et des primes trop élevées ? entre se faire soigner et ne pas se faire soigner ? 


La Suisse consacre à la santé 12,2 % de la richesse qu'elle produit annuellement : c'est proportionnellement, avec 81 milliards de francs. la plus forte dépense annuelle de santé au monde, après les USA. Et ces dépenses, qui ne vont certainement pas se réduire puisque le vieillissement de la population et les progrès de la médecine (notamment des technologies médicales) se conjuguent pour les accroître,  ne sont actuellement prises en charge par le budget fédéral qu'à raison de... 0,2 %. Contre 17 % par les cantons, 37 % par les primes et 24 % par les franchises et quotes-part. 


L'initiative socialiste pour le plafonnement des primes d'assurance-maladie à 10 % du revenu disponible des ménages a été déposée. Elle avait obtenu 117'000 signatures en dix mois. La réduction des primes serait financée aux deux tiers par la Confédération, le solde par les cantons, le tout pour trois à quatre milliards de francs. Un système de ce genre a été introduit dans le canton de Vaud en 2018 (avec un plafonnement à 12 %), et le PS demande que le même droit à la réduction des primes soit introduit dans tous les cantons. De son côté, le PDC continue de récolter des signatures pour sa propre initiative, lancée six mois avant celle du PS : elle demande que la Confédération et les cantons prennent des mesures lorsque l'augmentation des primes est supérieure d'au moins 20 % à celle des salaires nominaux... Ces deux initiatives ont en commun la même faiblesse (qui ne suffit évidemment pas à nous faire renoncer à les soutenir toutes deux) :_ elles ne remettent pas en cause le système de la LAMAL, si elles en corrigent les défauts les plus évidents : la charge financière des primes sur les revenus des ménages les plus modestes, et la charge sur les budgets cantonaux des subsides que ces ménages reçoivent pour pouvoir payer leurs primes.

Les Genevois consacrent aujourd'hui en moyenne 17 % de leur revenu disponible au paiement de leurs primes d'assurance-maladie, alors qu'à l'introduction de la loi fédérale (la LAMal), le Conseil fédéral prévoyait un taux d'effort trois fois moindre. Des milliers de personnes sont en butte à des difficultés considérables pour accéder aux soins dont elles auraient besoin : en 2016, près d'un quart de la population renonce même à des soins pour raisons financières. Dans ces conditions, les subsides sont le seul instrument à disposition pour permettre à toutes et tous d'être soignés, tant qu'on n'a pas instauré une caisse publique (ou plusieurs caisses publiques cantonales) financée par des primes proportionnelles au revenu. Le 19 mai, les Genevois et voises acceptaient à la fois l'initiative de la gauche demandant la plafonnement des primes d'assurance-maladie à 10 % du revenu (51 % de "oui") et le contre-projet du Conseil d'Etat prévoyant, comme contre-partie sociale de la réforme fiscale cantonale (application de la réforme fédérale RFFA), l'élargissement du cercle des bénéficiaires des subsides destinés à soulager au moins partiellement les ménages de la charge des primes (75,5 % de "oui"). Mais comme il fallait choisir entre les deux, le peuple des assurés a choisi (à 54 %) le contre-projet. Les primes ne seront donc pas plafonnées, mais plus d'assurés seront soutenus pour les payer (mais les payer non aux assurés eux-mêmes, les payer directement aux caisses-maladie, évidemment...). une enveloppe de 176 millions de francs en 2020, jusqu'à 186 millions en 2023, sera distribuée à 120'000 personnes (contre 53'000 aujourd'hui : c'est la "classe moyenne inférieure" qui va en bénéficier). Auxquelles s'ajoutent 50'000 au bénéfice de prestations complémentaires à l'AVS ou l'AI, et dont les primes sont totalement ou partiellement prises en charge par l'Etat. Pour autant, le système ne va pas changer : les primes, les coûts, le taux d'effort des assurés vont tous continuer d'augmenter (les primes ont augmenté de 40 % en dix ans, à Genève), pendant que les assureurs dépensent des dizaines de millions de francs chaque année (74,4 millions en 2016) et constituent des réserves qui pèsent des milliards (plus de 9 milliards en 2016). 


Dans un entretien au "Courrier", le président de l'Union Syndicale, Pierre-Maillard, ancien ministre de la Santé du canton de Vaud, affirme : "nous voulons fermer la parenthèse néo-libérale". Parenthèse dans laquelle se love une bonne part du système suisse d'assurance-maladie.  Tout, finalement, se résume en cette question : est-il acceptable que dans un pays aussi riche que la Suisse, des gens renoncent à se faire soigner parce que le système d'assurance-maladie ne prend pas suffisamment en charge leurs dépenses de santé, et qu'ils ne peuvent pas eux-mêmes payer ce que les assurances ne leur remboursent pas, alors qu'elles ponctionnent tous les mois, sur les assurés ou, à défaut, dans les caisses publiques, des cotisations outrageusement excessives ?

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