Dimanche 8 mars, grève féministe


"Ne rien lâcher"


A Genève, le prix Martin Ennals des droits de l'homme, décerné par un jury de représentants des principales organisations de défense des droits humains, avec le soutien de la Ville, a honoré trois militantes  : la Yéménite Huda Al-Sarari, la Mexicaine Norma Librada Ledezma et la Sud-africaine Sizani Ngubane. Huda Al-Sarari a mené le combat contre les prisons secrètes installées dans son pays par des Etats étrangers depuis cinq ans comme autant de lieux de détention arbitraire et de torture. Elle a créé un réseau de mères de détenus, a fait libérer 260 détenus. Elle y a perdu un fils, abattu en représailles de son combat, et a été contrainte de faire fuir son deuxième enfant, pour le sauver. Sizani Ngubane lutte pour le droit des femmes à la terre, à la propriété, à l'héritage dans des régions où le droit coutumier, qui les en prive. Elle a fédéré 50'000 femmes dans ce combat, plusieurs fois victorieux devant la Cour constitutionnelle. Elle combat également les enlèvement de jeunes filles pour des mariages forcés. Norma Librada Ledezma, qui a perdu une fille, assassinée, lutte contre les féminicides et, du fait de cette lutte, doit vivre sous la protection de gardes du corps. Ces trois femmes sont honorées par le jury du prix Ennals et par la Ville de Genève deux semaines avant la Journée internationale des droits des femmes (elle fut célébrée à ce titre pour la première fois dans la toute jeune Russie soviétique, pour célébrer la grève des  ouvrières de Petrograd, déclencheuse de la Révolution russe). Le 8 mars prochain sera donc en Suisse une journée de grève, pour les droits des femmes. 
 

"Le temps des femmes"


Dimanche 8 mars prochain, la Suisse vivra une grève pour les droits des femmes. Une grève féministe, même sans manif pour cause de coronavirus, et non une grève des femmes, car, comme l'affirme le collectif féministe des personnes en formation (CFPF) il faut "faire une analyse des rapports de pouvoir qui traversent notre société en termes de genre et non en termes de sexe", et "renverser les rapports de pouvoir qui sont les terreaux fertiles du harcèlement sexiste. Le thème de la grève sera "le temps des femmes". Un temps à opposer à celui de la durée hebdomadaire du travail que le patronat et les majorités politiques veulent allonger, au temps  du parcours professionnel, qu'en repoussant l'âge du droit à la retraite, pour les femmes ou pour les hommes et les femmes on allongerait aussi, aux dizaines d'heures de travail hebdomadaire que les femmes doivent faire  en surplus de celui fait par les hommes pour toucher le même salaire qu'eux. Le collectif genevois pour la grève appelle à manifester avec comme slogan "reprenons notre temps". Le reprendre, parce qu'en effet il est volé. Aux femmes plus encore qu'aux hommes.  Les femmes de Suisse sont appelées à faire grève un dimanche. Un dimanche, jour de repos ? Pas pour celles qui travaillent dans les hôpitaux, les EMS, les prisons. Pas non plus pour celles, innombrables, qui assument ce jour là comme tous les autres jours les tâches domestiques, les soins aux proches. 

Organiser une grève féministe prend dès lors tout son sens, puisqu'il s'agit aussi de remettre en cause la répartition du travail, son rythme, ses conditions -et sa rémunération. On n'a d'ailleurs jamais autant parlé, écrit de la cause de l'égalité et des droits des femmes dans ce pays qu'avant, pendant et après leur grève de juin : c'est aussi la fonction d'une grève (comme de tout mouvement social) que de mettre en évidence ce qui la justifie. La présidente d'Unia, Vania Alleva, appelant à la grève des femmes de 2019, rappelait que c'est lors d'une grève qu'on distingue le mieux les raisons pour lesquelles les travailleurs ont avantage à s'organiser, se regrouper et lutter ensemble pour leurs droits. Et le président sortant de l'Union Syndicale, Paul Rechtsteiner, d'estimer, à propos de la grève générale de 1918, que ce qui avait d'abord été perçu comme une défaite s'est finalement mué en un "immense succès". Sauf qu'il a fallu du temps. Beaucoup de temps. Mais qu'il aura bien fallu pour que ce temps ne soit perdu qu'une grève ouvre le champ des possibles. Et le menu du nécessaire.

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