Post-Brexit : les Celtes font de la résistance


Saorsa beò fada !


Depuis le 1er février, le Royaume-Uni est hors de l'Union Européenne. Mais le drapeau européen flotte toujours devant le parlement écossais,qui a renouvelé sa demande au gouvernement britannique de pouvoir organiser un référendum sur l'indépendance de l'Ecosse. Une demande que le Brexit rend, pour la première ministre écossaise Nicola Sturgeon et pour son parti, le SNP (parti national écossais), encore plus légitime qu'il ne serait au seul nom du droit des peuples (ou des nations) à l'autodétermination : "ce qui arrive se passe contre notre gré" : l'Ecosse en effet avait voté à 62 % pour rester dans l'Union Européenne, et ne la quitte que parce qu'elle y est contrainte par le fait qu'elle est "unie" à l'Angleterre (et au Pays de Galles et à l'Irlande du Nord) dans un "Royaume-Uni" en l’occurrence  plutôt désuni (l'Irlande du Nord aussi a voté pour rester dans l'Union Européenne, et si une majorité s'est dessinée au Pays de Galles pour la quitter, c'est grâce ou à cause du vote des Anglais qui y sont établis). Dès lors, pour revenir dans l'Union Européenne, l'Ecosse doit forcément quitter le Royaume-Uni pour (re)devenir indépendante, comme l'Irlande du Nord doit le quitter pour se réunifier avec la République d'Irlande.  Les Celtes font de la résistance aux anglo-saxons ? c'est arthurien...

Un projet national, pas nationaliste
 

La Première ministre d'Ecosse, Nicola Sturgeon, qui avait obtenu du parlement écossais l'autorisation d'organiser un nouveau référendum sur l'indépendance, assurait le 2 novembre devant des milliers de manifestants qu'elle était "à portée de main ".  Pour les nationalistes écossais, les législatives britanniques du 12 décembre étaient, comme le disait Sturgeon, "les élections les plus importantes de notre époque". La cheffe du parti indépendantiste (le SNP) veut organiser un référendum d'autodétermination en 2020 : elle estime que le refus (à 62 %) du Brexit par l'Ecosse rebat les cartes, après qu'un premier référendum d'autodétermination ait repoussé l'indépendance (à 55 % des suffrages en 2014). En effet, l'une des raisons du refus par une majorité des Ecossais (et des autres britanniques vivant en Ecosse) de l'indépendance de l'Ecosse était le risque qu'elle se retrouve hors de l'Union Européenne en quittant un Royaume-Uni qui y resterait. Mais comme le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union, en forçant l'Ecosse et l'Irlande du Nord à le suivre alors qu'elles voulaient y rester, quitter le Royaume-Uni c'est désormais pouvoir revenir en Europe... et Nicola Sturgeon ne doute pas que "si l'Ecosse choisissait de devenir indépendante, nous serions accueillis avec chaleur".  Sturgeon assure vouloir suivre un processus légal, concerté avec Londres. Pour elle, un nouveau référendum, d'autodétermination suppose, sauf à s'engager dans un processus (et un conflit) à la catalane, l'accord de Londres. Elle va donc rechercher cet accord. Or le gouvernement britannique est opposé à un référendum d'autodétermination, dont il craint que, le Brexit aidant, il donne une victoire aux indépendantistes.  Nicola Sturgeon et le SNP misaient sur une victoire travailliste en Angleterre et au Pays de Galles lors des élections de décembre (et sur leur propre victoire en Ecosse), lors même que le leader travailliste Jeremy Corbyn était opposé à une nouvelle consultation des Ecossais sur l'indépendance. Or, si en effet le SNP a gagné les élections en Ecosse et les Républicains (Sinn Féin et SDLP) en Irlande du Nord, ce sont les Conservateurs qui les ont gagnées en Angleterre. Le 19 décembre, le parlement écossais n'en a pas moins adopté (par 68 voix contre 54) le projet de loi sur l'organisation d'un référendum d'autodétermination. Un affrontement "national" entre l'Angleterre et l'Ecosse, politique entre les Tories et le SNP, personnel entre Johnson et Sturgeon, est donc programmé, même si l'Ecossaise assure être "aussi profondément et passionnément européenne" que britannique et écossaise. : "une Ecosse indépendante ferait toujours partie des îles Britanniques"... comme la République d'Irlande, représentée au sein du "British Irish Council" aux côtés de représentants des gouvernements britannique, écossais, nord-irlandais, de l'île de Man, de Jersey et de Guernesey : "Le Royaume-Uni n'est pas un Etat unitaire. C'est un Etat composé de quatre nations. Si n'importe laquelle de ces nations ne souhaite plus être membre de cette union, au bout du compte, on ne peut lui refuser ce droit pour toujours". Boris Johnson refuse la demande écossaise d'un référendum d'autodétermination ? c'est "un signe de faiblesse", "le signe de quelqu'un qui sait, au fond de son coeur, que quand l'Ecosse le pourra, elle choisira probablement l'indépendance". Et, précise sa Première ministre, la choisira dans le cadre d'un "processus constitutionnel légal, indiscutable", auquel "Boris Johnson, ou qui que ce soit d'autre, ne sera plus en mesure de s'opposer". D'autant qu'il a déjà politiquement perdu l'Ecosse, et qu'il ne s'intéresse qu'à l'Angleterre.

L'Ecosse est une nation, puisque des Ecossais en ont décidé ainsi. Et le parti politique qui gouverne l'Ecosse lui propose l'indépendance -autrement dit, la création d'un Etat écossais distinct de la Grande-Bretagne, puisque nous sommes dans un monde où le critère de l'indépendance est la constitution d'un Etat. Ce parti se nomme "parti national écossais". "national", pas "nationaliste". Car dans le projet du SNP,  la nation ne suppose pas le nationalisme. Du moins pas le nationalisme apologétique,construit contre les autres : "le nationalisme que mon parti représente (...) est un mouvement civique très progressiste et moderne, très différent (du)nationalisme d'extrême-droite anglais. (...) En Europe, nous sommes le parti le plus pro-immigration", témoigne Nicola Sturgeon, cheffe d'un parti à la fois national et social-démocrate -et, qu'il le sache ou non, fidèle à une définition républicaine de la nation, "à la française" (un héritage de la "vieille alliance ?), pour lequel  la nation est un projet politique démocratique, pas une donnée des faits. Elle procède d'un choix, pas d'une réalité a priori. Ce projet, ce choix, est précisément de passer d'une appartenance fatale (celle à la tribu, à l'ethnie) à une adhésion volontaire : on choisit d'être ou non d'une nation, comme un peuple choisit de se faire nation, sans l'être a priori. On choisit des règles communes, et de se doter d'institutions communes -qui peuvent être un Etat, mais qui peuvent aussi s'en passer : les Rroms s'en passent, et les juifs s'en passaient, avant le sionisme.  Et cette nation-là, celle qui est un projet, un acte de volonté politique, suppose l'égalité de toutes celles et ceux qui la constituent -aussi n'est-elle jamais entière lorsqu'une part de cette constitution nationale est privée des droits qu'elle proclame et est-elle trahie lorsqu'en son nom on refuse aux autres ce qu'on revendique pour soi-même.

Ainsi l'Ecosse pourrait-elle témoigner que toute émancipation nationale n'est pas forcément nationaliste : avouons que dans l'Europe (et le monde) d'aujourd'hui, cette porte ouverte à une citoyenneté ouverte a quelque chose d'une heureuse réponse au tribalisme égocentrique qui sévit un peu partout.



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