Quand Genève veut des logements, mais pas les construire


Densifier ou étaler ?


Genève, terre de contrastes : on y vote massivement (comme dans les trois autres plus grandes villes de Suisse) pour construire plus de logements (d'utilité publique, certes, mais ils n'en sont pas pour autant sans emprise sur l'espace), et contre la densification d'une zone urbaine (à Cointrin) occupée par des villas. A Meyrin et Vernier, où deux déclassements soumis au vote cantonal étaient prévus, est exemplaire : 64 et 69 % pour l'initiative demandant plus de logements abordables, 64 et 60 % pour ne pas en construire dans la commune. Les deux projets de déclassement de zones villas à Cointrin ont été refusés à 55,7 et 55,3 %.  En Ville de Genève, qui a de peu refusé les deux projets de densification, ce sont les quartiers les plus friqués et les plus à droite (Champel, Florissant) qui ont fait pencher la balance pour le non, les quartiers populaires et de gauche votant en faveur des deux projets dans le même proportion que le canton les refusait. Résumé par le Conseiller d'Etat Antonio Hodgers, le résultat du vote genevois sur les deux projets de déclassement à Cointrin  sonne ainsi : "les électeurs ont accepté l'initiative de l'Asloca pour des logements abordables, mais ne veulent pas les construire" (il en était prévu 2400). Le choix, pourtant, est simple : la densification ou l'étalement urbain. Construire la ville en ville ou étendre la ville dans l'espace rurbain et rural. Mais si on accepte de densifier, il faut bien le faire là où la densité peut encore être accrue : on ne peut plus densifier aux Pâquis, on ne peut pas le faire en zone agricole, mais on peut encore le faire dans les zones villas. Mais pour cela, il faut les déclasser... Or commentant le résultat des votations de dimanche, Antonio Hodgers annonce que les déclassements prévus vont être suspendus, puisque "les Genevois ont choisi de renforcer la crise du logement". 

Conjuguer ambitions urbanistiques et procédures démocratiques ?
 
L'organisation de l'espace -et donc l'urbanisme-, c'est l'organisation du contrôle des comportements individuels et collectifs. et de leur maîtrise. Ainsi de l'expulsion et de la dispersion des classes populaires vers les périphéries des villes-centre : il faut éviter leur concentration dans des lieux qu'on ne pourrait plus contrôler. De ce point de vue, en France, bien plus qu'en Suisse, l'échec de cette politique est patent, dès lors que les politiques eux-mêmes dénoncent l'existence de "zones de non-droit" dans les "cités" pendant qu'on réserve les centre-villes aux populations et aux activités rentables et qu'on les aménage pour prévenir les comportements déviants et les activités illégales : on multipliera les caméras et on généralisera l'éclairage nocturne dans le même mouvement qu'on supprimera les bancs publics. Et Il devient de plus en plus courant de s'installer à la campagne (en la transformant progressivement en un prolongement "rurbain" de la ville), dans une zone trop mal desservie par les transports publics pour qu'on puisse se passer de voiture pour aller travailler, se délasser, faire des achats, voire emmener les enfants à l'école. La voiture devient la condition de la maison individuelle, qui représentaient en 2013 plus de la moitié du parc immobilier suisse en ne logeant pourtant qu'une minorité de la population. Chaque heure, une nouvelle villa est construite. Et en ville, pour économiser de l'espace, on va construire plus haut. La tour s'impose. Mais au-delà de la contrainte spatiale, la tour est un manifeste : elle dit le désir d'être vu et celui de dominer. Elle est un signe ostentatoire de réussite, ou de prétention à la réussite. Pour tout le reste, elle est absurde -ce n'est sans doute pas un hasard si elle abrite dans la plupart des cas non des lieux d'habitation, mais des lieux de pouvoir et des lieux de travail -des bureaux. des sièges d'entreprises, des administrations publiques. Les quartiers où elles sont implantées en nombre sont souvent des quartiers morts en dehors des heures de travail -des quartiers sans grande vie sociale, et sans vie culturelle. Des zones.

Revenons sous nos cieux : on ne veut pas y construire pour attirer de nouveaux habitants, on veut construire pour loger ceux dont on prévoit qu'ils viendront ou naîtront, ou pour reloger ceux qui ont dû quitter Genève pour pouvoir se loger en France ou dans le canton de Vaud.  Ce ne sont pas les logements qui attirent une nouvelle population à Genève, ce sont les emplois. Autrement dit : la croissance économique.  Entre 1930 et 1936, 8000 logements nouveaux avaient été mis sur le "marché" genevois, en prévision d'un afflux de population -qui n'a finalement pas eu lieu, du fait de la crise économique. Résultat : Genève a croulé sous les logements vides, et les loyers étaient en baisse. Une bonne crise économique, y'a que ça pour résoudre la crise du logement... encore que les crises survenues ces dernières années n'aient pas eu cet effet à Genève et plus régionalement dans l'arc lémanique.  En 2040, selon les différents scénarios retenus, l’Espace transfrontalier genevois (composé du canton de Genève, du district de Nyon et de la zone d’emploi du Genevois français) abritera entre 540 300 et 575 600 ménages privés, soit respectivement 28 % à 36 % de plus qu’en 2015. Et c'est la croissance économique genevoise, la création d'emplois à Genève, qui va déterminer en grande partie cet accroissement de la population, même si en termes absolus, la hausse du nombre des ménages privés la plus importante sera enregistrée dans le Genevois français de la Haute-Savoie (entre + 48 900 et + 69 700 ménages). En termes relatifs, c’est dans le Genevois français de l’Ain que la croissance sera la plus forte (comprise entre + 41 % et + 62 % en 2040 par rapport à 2015).Mais tout de même, de 26 000 à 43 000 ménages supplémentaires sont attendus d’ici à 2040 dans le canton de Genève. Cela signifie entre 50'000 et 100'000 habitants supplémentaires.Qu'il va bien falloir loger -mais où ?


Dans les années '80 du siècle dernier, la gauche avait pour slogan "construire la ville en ville". Ce fut fait (et cela a stoppé la baisse de la population de la Ville de Genève, qui était tombée à 150'000 habitants), et peut encore être fait : la Ville doit accroître son parc immobilier et foncier, octroyer des droits de superficie à des coopératives d'habitation, doter sa fondation pour le logement social des terrains et des moyens nécessaires à l'augmentation du nombre de HBM et de LUP disponibles à la location. Cela implique-t-il une dégradation de l'environnement urbain, qu'il soit végétal ou minéral ? nullement. Cela implique une démocratisation de la décision en matière d'urbanisme. Peut-on conjuguer urbanisme et démocratie -du moins, ambitions urbanistiques et procédures démocratiques ? A première mémoire, l'histoire suggèrerait que non : derrière, au-dessus des grandes réalisations urbanistiques, il y a souvent un pouvoir politique pour le moins autoritaire -Versailles naît de la volonté de Louis XIV, St-Petersbourg de celle de Pierre le Grand, le Paris de Haussmann de celle de Napoléon III. Mais ce que l'histoire suggère n'a rien d'une loi d'airain : elle est le fait d'une volonté. Elle fut individuelle et monarchique ? il nous reste à la rendre collective et démocratique. En continuant à construire. Pas n'importe où, pas n'importe quoi, pas n'importe comment, mais pour répondre à des besoins.




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