Vers le droit de vote et d'éligibilité des étrangers à Genève

Vive le suffrage universel !

Le 24 avril 2005, les Genevois et voises accordaient le droit de vote (mais pas d'éligibilité), d'initiative et de référendum municipaux, aux étrangers résidant en Suisse depuis au moins huit ans. Comme cinq autres cantons romands. Trois cantons alémaniques (les Rhodes intérieures d'Appenzell, les Grisons et Bâle-Ville) ont accordé à leurs communes le droit d'accorder le droit de vote à leurs habitants étrangers. Vaud, le Jura et Neuchâtel leur ont en outre accordé le droit de vote cantonal (voire le droit d'éligibilité municipal). Genève est donc en retard (le Valais aussi, d'ailleurs) sur le reste de la Romandie, s'agissant des droits démocratiques. Un pas supplémentaire pourrait cependant être fait si le Grand Conseil d'abord, le peuple ensuite (du moins sa part adulte, de nationalité suisse et électoralement active), y consentent : le droit de vote et d'éligibilité des étrangers aux plans communal et cantonal. Une extension légitime et bienvenue à l'élection et au canton d'un droit encore contenu à celui de voter dans les communes. Une commission du Grand Conseil a en effet adopté en ce sens un projet de modification de la constitution : déposé par la députée d'"Ensemble àé Gauche" Jocelyne Haller, le projet a évidemment  été soutenu par les socialistes et les Verts, mais aussi par le PDC, le PLR rejoignant (c'est son tropisme, en ce moment) l'UDC et le MCG dans un refus obsidional de quelque droit politique que ce soit aux métèques. Dont on rappellera qu'ils constituent plus de 40 % de la population du canton, ce qui fait de Genève de tous les cantons suisses celui qui prive encore la plus grande part de sa population des droits politiques fondamentaux de voter, d'élire et de siéger.
 
J'y vis, j'y vote, j'y siège...

A Genève, 85'000 personnes qui n'en disposaient pas disposent donc depuis quinze ans d'une partie -mais d'une partie seulement- des droits politiques. Certes, seule une minorité d'entre elles les exercent, mais cela fait tout de même des dizaines de milliers de votants et de votants, et de toute façon seule une minorité de Suisses exercent aussi leurs droits politiques. Si les étrangers votent encore moins que les Suisses, ce n'est pas parce qu'ils sont étrangers, c'est qu'ils ne peuvent le faire que sur les enjeux municipaux dans le canton suisse où les communes ont le moins de compétences, sur les enjeux fédéraux, et qu'ils font plus souvent que les Suisses partie des catégories sociales qui votent le moins : ils sont plus jeunes, et plus souvent situés dans les couches sociales moyennes ou "inférieures". Bref, l'électeur étranger est un électeur comme les autres. Sauf que son droit de voter est contenu dans la commune et amputé de son droit d'élire. Ne disposant de droits politiques que communaux, les étrangères et les étrangers sont des électeurs de deuxième zone, et Genève est dans ce domaine et avec le Valais le canton romand le plus restrictif alors qu'il est le canton suisse qui compte la plus forte proportion d'étrangers au sein de sa population. On devrait  pouvoir, enfin, y passer du "j'y vis, j'y vote" à un plus cohérent "j'y vis, j'y vote, j'y siège". L'Assemblée constituante avait fait, un moment, mine de le faire, ce pas, avant, pusillanime, que se raviser par peur que le projet de nouvelle constitution soit refusé à cause de cela. En 2013, c'est le Grand Conseil qui avait de même choisi la fuite -ni en avant, ni en arrière, mais de côté. Et 40 % des habitants majeurs et contribuables de Genève sont toujours privés du droit de vote cantonal. Résultat : lors des dimanches de votations, un tiers du corps électoral ne peut donner son avis que si dans le menu dominical un plat communal est servi. Les étrangers peuvent voter pour ou contre les coupes dans le budget de la Ville, la rénovation du Musée d'Art et d'Histoire, les arbres de Plainpalais, le parking de Clé-de-Rive ou la vente des actions de Naxoo... mais pas sur l'ouverture des magasins le dimanche, la stratégie énergétique, la libre circulation ou les tarifs des TPG... Et ils et elles ne peuvent pas être élu-e-s là où elles et ils votent (dans leur commune). Pourtant, ils sont bien objectivement (matériellement, socialement, fiscalement) citoyens de cette ville et de ce canton, si l'on veut bien accepter de donner de la "citoyenneté" une définition qui ait les pieds dans la réalité et pas seulement la tête dans les textes de lois. Et l'exercice des droits politiques réduits qu'on leur a concédés n'a pas bouleversé les rapports de force politiques municipaux.


La démocratie n'est autre chose qu'un slogan que si les citoyens participent à la prise des décisions qui les concernent. Mais cela ne donne encore aucune définition du mot même de "citoyen". L'étymologie, là, répond : le citoyen, c'est l'homme (et la citoyenne, la femme) de la Cité -au sens non de la seule commune, mais de la République. En d'autres termes, l'habitant, l'habitante. Cette définition ne renvoie à aucun critère de nationalité, elle ne renvoie qu'à l'habitat et à l'insertion sociale : j'y suis, j'y vote, j'y siège. Et la légitimité des institutions politiques étant, en démocratie, fonction de la part de la population qui peut concourir à leur désignation, accorder aux étrangers résidents le droit, non seulement de voter mais aussi d'élire, et non seulement dans la commune mais aussi au niveau cantonal, procède de la même démarche qui fit passer (péniblement) du suffrage censitaire au suffrage universel (il y aura fallu deux révolutions), et du suffrage exclusivement masculin au suffrage sans discrimination de sexe (il y aura fallu une grève générale et des décennies de combat féministe). Et on n'évoquera qu'en passant les 250 ans qui séparent la création de la République de Genève de l'octroi  du droit de vote... aux catholiques.

La citoyenneté n'est pas la nationalité : la première est une pratique, qui peut faire l'objet de distinctions selon qu'elle concerne la commune, le canton ou la Confédération, la seconde est un statut légal unique, indistinct, fondé soit sur le hasard de la naissance, soit sur un octroi administratif. Et la démocratie n'est autre chose qu'un slogan que si les citoyens participent à la prise des décisions qui les concernent. Botter en touche en invoquant la naturalisation comme moyen de faire accéder des étrangers aux droits politiques n'est de ce point de vue, dans un pays dont le droit de la nationalité est fondé sur le droit du sang, qu'une forme de déni de réalité, quand des centaines de milliers d'"étrangers" sont nés en Suisse, et sont donc d'ici, et pas d'ailleurs. La commission municipale des naturalisation de la riante (on le suppose, du moins) commune Schwytzoise d'Arth a refusé d'accorder la nationalité suisse à un Italien, vivant en Suisse depuis trente ans, parce qu'il ne savait pas que les loups et les ours du parc animalier de la région partageaient le même enclos. Fin janvier, c'est le Tribunal fédéral qui a tranché : on ne peut pas refuser la nationalité suisse à quelqu'un pour une raison aussi futile, une telle décision violant le principe de l'interdiction de l'arbitraire.

On conclura en reprenant les mots de la socialiste Sandrine Salerno et de la démocrate-chrétienne Anne-Marie von Arx-Vernon : "Lorsque l'on vit dans un endroit, qu'on y élève ses enfants, qu'on participe de mille et une façon, voter et élire me semble une évidence", dit la première, "A partir du moment où des gens font partie de la communauté, vivent dans le même contexte, paient des impôts, il me semble normal qu'ils puissent aussi participer pleinement à la vie politique locale". De cette évidence, il reste à convaincre celles et ceux qui ont déjà le droit de voter au plan cantonal pour qu'ils l'accordent enfin à celles et ceux qui ne l'ont pas encore. Au fond, c'est le même combat que celui qu'il a fallu mener pendant des décennies pour que les femmes aient droits de vote et d'éligibilité communaux, cantonaux et fédéraux : ce sont les hommes, qui en disposaient seuls, qu'il a fallu convaincre de les accorder aux femmes. Ce sont les Suisses qu'il faut convaincre aujourd'hui à Genève d'accorder aux étrangers(et encore, pas tous...) les droits dont eux, les Suisses aux urnes noueuses, disposent déjà. C'est ainsi que progressent la démocratie, la République et la Cité : en s'élargissant. Des hommes aux femmes, des vieux aux jeunes, des riches aux pauvres, des indigènes aux étrangers.

Cela s'appelle le suffrage universel.

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