La Ligue islamique mondiale cherche à fourguer sa mosquée genevoise


Sous-traitance ou émancipation ?

Le Secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, Mohammad Abdulkarim Alissa, aimerait bien débarrasser la Ligue d'un boulet : la mosquée de Genève (celle du Petit-Saconnex), construite par la Ligue -laquelle est une organisation saoudienne. La mosquée. suspecte d'avoir été, ou même d'être encore, un bastion intégriste, voire un lieu de recrutement djihadiste,  est actuellement gérée par la Fondation culturelle islamique de Genève, directement liée à la Ligue islamique mondiale (même si elle est une fondation de droit suisse). Bref, la mosquée genevoise est en réalité saoudienne et ce dont il s'agirait, en la confiant un un "organe représentatif de tous les musulmans genevois", est de faire de cette mosquée saoudienne une mosquée genevoise gérée par "une entité irréprochable et approuvée par les autorités locales et nationales", genevoises et suisses. Sauf que Genève est supposée être une république laïque, et que, sans le dire, et tout en plaçant sa constitution fédérale sous l'autorité de "Dieu Tout-Puissant", la Suisse, de fait, l'est aussi. En tout cas, s'en approche en tapinois. Et que donc, les autorités politiques n'ont pas à "approuver" une "entité" religieuse, si irréprochable qu'elle puisse être. Et dont on ne sait pas vraiment si elle serait le moyen d'une émancipation de la mosquée genevoise ou l'instrument saoudien d'une simple sous-traitance.

"Se donner à soi le droit d'être libre vis-à -vis de sa religion"
 
Dans sa recherche d'une "entité" pouvant reprendre la mosquée genevoise des mains saoudiennes, le Secrétaire général de la Ligue islamique mondiale avoue qu'il s'avère, à Genève, "difficile de trouver une entité qui fasse l'affaire là où les musulmans ont pris l'habitude de s'organiser par pays d'origine". Il n'y a en effet pas de "communauté musulmane genevoise" organisée -l'islam de Genève comme l'islam en général n'étant d'ailleurs pas unifié, et on peut s'autoriser à douter que même la capitale mondiale du monde mondial, siège du Conseil oécuménique des églises chrétiennes (dont l'église romaine n'est d'ailleurs pas membre) réussisse à réunir en une seule "entité" locale chiites, sunnites, ismaéliens, druzes -et on en passe. Mohhamad Abdulkarim Alissa place même la barre plus haut encore que ce rêve d'une sorte d'oïkuméné musulmane genevoise : il envisage que la fondation culturelle islamique de Genève intègre des non-musulmans dans son Conseil de fondation et qu'elle ne réserve plus la mosquée au seul culte musulman. But de l'opération : "inspirer confiance à 100 %". Mais inspirer confiance à qui ? et pourquoi ? Pour que l'islam soit reconnu comme étant désormais une composante du paysage religieux genevois ? Il l'est, de toute évidence, depuis des décennies... Et si c'est à la société qu'on demande cette reconnaissance, l'islam est là , présent, dans la nôtre. Mais si cette reconnaissance est demandée à l'Etat, la réponse doit, évidemment, être "non" : l'Etat n'a pas plus à "reconnaître" l'islam, ni d'ailleurs à le proscrire, qu'il n'a à reconnaître, ou à proscrire, n'importe quelle autre religion.
S'agit-il de faire émerger un islam "ouvert" face à l'islamisme, à l'intégrisme religieux à visée politique ? de promouvoir la socialisation de l'islam face à la volonté d'islamiser la société ?  C'est sans doute une illusion que cette idée d'une réponse à l'intégrisme (musulman ou non) par une pédagogie de l'"ouverture", idée contre idée, conception du monde contre conception du monde,  Lumières contre manipulation religieuse des esprits, production de bons imams bien de chez nous pour concurrencer les imams salafistes venus d'ailleurs. 
 
L'islamologue Reinhard Schulze se demande si c'est  l'islam qui fabrique les croyants ou les croyants qui fabriquent l'islam?". La question se pose en tout cas de savoir pourquoi la réflexion critique des musulmans sur l'islam n'a pas débouché sur une Réforme (puis une Contre-réforme) comme y a débouché la réflexion critique des chrétiens sur le christianisme. Pourquoi ? Parce que des Etats sont intervenus pour domestiquer la religion. Cette domestication a eu pour effet collatéral de légitimer le fondamentalisme, de deux manières : la première, autoritaire, de la part de certains de ces Etats eux-mêmes (à commencer par l'Arabie Saoudite), la seconde, plus souterraine, de la part de fondamentalistes se posant en opposition aux Etats "musulmans", d'autant plus facilement que les oppositions plus ou moins laïques et démocratiques étaient écrasées, et que le fondamentalisme religieux se retrouvait ainsi sans concurrence comme force d'opposition. La tentative d'historiciser l'islam a ainsi, dans les pays musulmans, été confrontée à la double répression des Etats et du fondamentalisme, et n'a pu se poursuivre jusqu'à nos jours qu'en terres d'Hijra... dans les pays (en particulier en France) d'une tradition chrétienne elle-même revisitée par l'historicisation du christianisme pendant qu'en terre d'Umma, "le vide laissé par les intellectuels a été comblé par des penseurs médiocre et une littérature de pacotille" (Reinhard Schulze). Et par des réflexes pavloviens, par exemple à propos de la représentation du Prophète, qui suppléent confortablement à la connaissance de la religion que l'on professe.

"C'est bien beau de réclamer la liberté de pratiquer sa religion. Encore faut-il se donner à soi le droit d'être libre vis-à -vis de sa religion", recommande Abdennour Bidar... Si le passage de la mosquée de Genève d'une tutelle saoudienne à une gérance genevoise pouvait contribuer à ce que les musulmans de Genève et des wilayas circonvoisines qui ne le se sont pas encore se donné se donnent ce droit d'être "libre vis à vis de sa religion", nous applaudirions à ce passage. Mais ce droit ne s'octroie pas d'en haut, d'une tutelle : il se prend. Et ce sont donc les musulmans eux-mêmes, à Genève comme ailleurs, qui devront le prendre -comme nombre d'entre eux l'ont déjà pris... à leurs risques et périls.


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