"Vive la Commune"... mais pas n'importe laquelle ?


Les villes contre l'Etat ?

Comme on  vous le serine régulièrement, notre slogan préféré depuis 1871, c'est "Vive la Commune !". Surtout à Genève, où les communes, instituées en 1798 par le régime français dans le même temps où la grande République avalait la parvulissime, sont bien loin d'être l'institution fondamentale de la démocratie que proclament maints discours de cantine. Mais le "Vive la Commune" de 1871, c'est "vive" celle de Paris... et notre "Vive la Commune" d'aujourd'hui, c'est surtout "vive" celle de Genève (certes instituée en 1798 par la France, mais supprimée en 1815 par les oligarques de l'ancienne République revenus au pouvoir dans les fourgons de la Saint-Alliance antifrançaise, et rétablie une génération plus tard par une révolution). Est-ce à dire que lorsque nous clamons "Vive la Commune", il faudrait le traduire par "Vive la Ville" ? Il y a de cela... à condition que la majuscule de "la Ville" (de Genève) laisse place à la minuscule des villes genevoises (elles sont une dizaine) et que l'on mesure bien ce qu'il peut y avoir de danger à n'avoir en tête que les "grandes villes" (ce que Genève n'est certes pas démographiquement, à l'aune européenne, et moins encore mondiale). Un article du dernier numéro du "Monde Diplomatique" (https://www.monde-diplomatique.fr/2020/03/BREVILLE/61548) nous met cette puce à l'oreille : grattons-nous donc là un peu (si l'Office fédéral de la Santé Publique nous y autorise, bien sûr). 
 
Que "vive la Commune" rejoigne "vive la Ville" et "vive les villes" 

Bien que les villes soient les premières concernées par les plus urgents à relever des enjeux mondiaux et qu'elles puissent jouer un rôle déterminant dans l'invention des remèdes maux du monde, elles considèrent, à raison, que leur voix n’est pas suffisamment entendue par les Etats.  Elles-mêmes s'organisent donc en réseaux pour peser plus et mieux sur les décisions globales. Dernier réseau en date, celui lancé par Genève (Ville et canton), le "Geneva Cities Hub" (il fallait forcément le baptiser en globish...).

Les Villes, ainsi, se posent en alternatives aux Etats. Il y a évidemment un danger à cette prise de pouvoir (pas DU pouvoir, mais d'UN pouvoir...) des villes : celui d'approfondir encore la coupure, parfois même la rupture, entre elles et leurs périphéries péri-urbaines, suburbaines, rurbaines, rurales. Entre les grandes et les petites villes. Progressisme, innovation, ouverture, modernité d'un côté, conservatisme ou réaction, routine, conformisme de l'autre ? Ce serait simple. Et commode. Et confortable. Et surtout, flatteur -pour les villes, qui pourraient céder à la tentation de se hausser du col, comme les y incitait l'ancien maire de New-York (et ex-candidat à$ l'investiture démocrate à l'élection présidentielle américaine, rallié aujourd'hui à Joe Biden, Michael Blomberg), qui assurait (en confondant les nations et les Etats) que "pendant que les nations parlent, les villes agissent". Il est vrai, cependant, que les villes pallient depuis des décennies les carences des Etats (et, à Genève, que la Ville pallie celles du canton), et que, lassées d'être conduites par la réalité à jouer ce rôle sans avoir le pouvoir réel de déterminer le champ, l'ampleur et les méthode de le faire, elles sont incitées à développer une "diplomatie des villes" contournant celle, inefficace et trompeuse, des Etats, et à développer des politiques qui deviennent des modèles de gestion démocratique (le budget participatif à Porto Allegre), de sortie de crise économique (Bilbao et l'investissement dans la culture contre la désindustrialisation, Seattle et ses start-up), de "développement durable" (Vancouver) et de maîtrise de la circulation automobile (Singapour et son péage urbain). 


Tout cela est bel et bon, et légitime. Mais tout cela, aussi, correspond à la concentration dans les villes des pouvoirs, des richesses et des capacités d'innovation (et pas seulement de celles technologiques, celles sociales, culturelles et politiques aussi). Sans doute est-ce une bien vieille histoire, celle d'Ur, de Babylone, de Thèbes, de Memphis, d'Athênes, de Rome... mais c'est aussi l'état du monde, tel qu'il est. Et il est fondamentalement inégalitaire : inégalités de revenus, de formation, de droits et de libertés, de développement, d'accès à l'information. Inégalités entre les classes, les Etats, les individus... et les territoires. Inégalités, donc, entre les grandes et les petites villes, entre les villes et leurs banlieues, entre les centres et les périphéries. Entre les espaces de la modernité, de l'innovation, de l'ouverture, des libertés individuelles et ceux où s'implantent le mieux les forces politiques, sociales et culturelles réactionnaires, à la faveur de la désindustrialisation, de la désertification, de l'absence des services publics, de l'obsolescence des infrastructures : il est en effet bien plus facile d'être progressiste et écoresponsable quand on a tout ce dont on a besoin, et même plus, à disposition dans un rayon  de 500 mètres autour de son domicile au centre-ville. 


Comment parer à ce danger ? précisément en liant l'émancipation des villes à celle de toutes les communes, y compris les plus petites, les plus pauvres, les plus périphériques.  Les villes ont raison de développer des politiques sociales, culturelles, environnementales, alternatives à l'austérité, au démantèlement des services publics, à la réduction des aides sociale et des engagements culturels, à la non-mise en oeuvre des promesses environnementales. Mais elles ne peuvent réellement jouer ce rôle de contre-pouvoirs en se coupant des autres collectivités locales. Parce qu'alors, elles ne sont plus une alternative mais un refuge, comme Budapest face à Orban, Prague face à Babis, New-York face à Trump, Istambul face à Erdogan, voire Londres face à Johnson ou Paris face à Macron. Ou Genève face à... ?

 Les villes ne peuvent s'abstraire de leurs pays, même si elles le peuvent de leur Etat. Et elles ne peuvent donc ignorer les petites communes, les régions périphériques, à moins de se résigner à ce qu'y prospèrent les populismes réactionnaires. Et plus petitement dit, la Ville de Genève ne peut s'abstraire du canton de Genève, et de ses 44 autres communes, à moins de se résigner à ce qu'y renaisse quelque nouveau MCG. L'un des enjeux des élections municipales de dimanche prochain (et du deuxième tour de l'élection des exécutifs) est sans doute là : que dans le plus grand nombre possible de communes, la gauche soit la plus forte possible. Et que notre "vive la Commune" rejoigne nos "vive la Ville" et "vive les villes"...


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