Les derniers sont les premiers

L'option préférentielle pour les pauvres du Covid-19

D'où nous vient-elle, cette épidémie ? De Chine, sans doute, mais comment ? transbahutée par une armée, comme la grippe espagnole de 1918 ? non : diffusée par des cadres d'entreprises en voyages d'affaires, des représentants politiques en mission, des touristes en goguette, des supporters de foot en Italie, des teufeurs à Verbier et des fidèles évangéliques à Mulhouse... Et qui sont les premiers et les premières à la subir, le plus durement, ici et ailleurs ? celles et ceux qui n'y sont pour rien, qui n'ont jamais mis les pieds en Chine, ni à Verbier : les requérants d'asile, les précaires, les travailleuses domestiques "au gris", "au noir" ou clandestines, les travailleurs pauvres mis au chômage partiel, les petits indépendants, les sdf... toutes et tous ignorés des plans de relance du Conseil fédéral... Il y a en Suisse quand tout va bien pour "l'économie" et les finances publiques 660'000 personnes touchées par la pauvreté. Et maintenant, combien y ont-elles sombré ? Que les derniers soient les premiers fut à la fois une promesse évangélique et un programme socialiste. Que les derniers à propager une épidémie soient les premiers à y succomber n'est qu'une faillite sociale.


L'entretien du paupérisme
 

Les perspectives sont plus belles que jamais, comme disait Léon Nicole : une épidémie qui commence quand une chauve-souris transmet un virus à un pangolin qui se retrouve vendu sur un marché chinois peut se propager en quelques semaines dans le monde entier, ralentir toutes les économies et provoquer une récession, faire reculer de 15 % en deux semaines la cote des titres sur les principales bourses du monde, annuler jusqu'à 80 % des vols (aériens, pas kleptopratiques), chuter de moitié la production d'ordinateurs portables et stopper quasiment celles de smartphones. On s'en réjouirait presque et on ne serait pas loin d'en déduire que le COVID-19 est altermondialiste, si l'Organisation Internationale du Travail ne douchait froidement cet optimisme : selon un rapport de l'OIT rendu public le 18 mars, le COVID-19 pourrait provoquer une augmentation du chômage dans le monde de 5,3 à 24,7 millions de personnes : la fourchette est large, le chiffre réel dépendra des mesures prises par les collectivités publiques pour répondre à cette menace. Mais dans tous les cas, ce chômage supplémentaire (et les pertes de revenu qui lui sont liées, et dont la fourchette va de 860 à 3400 milliards de dollars US) touchera de manière disproportionnée les personnes occupant les emplois les moins protégés et rétribués, les jeunes, les travailleurs âgés, les migrants et les femmes. Entre 8,8 et 35 millions de personnes sombreront dans la pauvreté, conclut l'OIT.

Aux Etats-Unis, les "Noirs" paient un bien plus lourd tribut à l'épidémie que les "Blancs" : en Louisiane, ils sont 32 % de la population mais 70 % des morts, à Chicago ils sont 30 % de la population mais 72 % des morts. Et la (dé)raison de cette situation tient en un mot : la pauvreté (emplois mal payés et précaires, mauvaise protection sociale, défaut d'assurance-maladie, mauvaise qualité de l'habitat -et même, l'héritage de la pauvreté des générations précédentes, dont les descendants héritent d'hypertension, d'asthme, de problèmes cardiaques, de diabète, d'obésité. Quant au Programme alimentaire mondial, il craint que le nombre de personnes souffrant de la faim puisse dépasser les 250 millions, et qu'en quelques mois, plusieurs dizaines de millions d'entre elles pourraient mourir :  l'accès des plus pauvres aux denrées alimentaires n'est absolument pas garanti quand leur prix augmente (comme actuellement celui du blé et du riz), que 90 % du commerce mondial se fait par voie maritime et que les ports marchands sont fermés, même si les réserves mondiales de céréales sont suffisantes et les prochaines récoltes prometteuses (encore faut-il qu'il y ait des travailleurs pour les assurer). Et même là où il l'est (comme chez nous), ce sont les ressources nécessaires pour se nourrir convenablement qui ne le sont souvent plus :  1500 personnes sont venues ce samedi à Genève la rue Hugo de Senger pour obtenir un panier de denrées alimentaires proposé par la Caravane de Solidarité, les Colis du Coeur et la Ville de Genève. 


Comme on nous le serine depuis deux mois, la pandémie "change les paradigmes". Il faut régulièrement changer de paradigmes. Les paradigmes, c'est comme les sous-vêtements : si on n'en change pas, ils sentent mauvais. Surtout les plus vieux. Comme "l'extinction du paupérisme" version Louis-Napoléon Bonaparte quand il se posait quasiment en socialiste et n'avait pas encore éteint une République. Eteindre le paupérisme, c'est en tous cas une ambition dont on ne fera pas gloire au Covid-19 : le paupérisme, il est plutôt en train de l'entretenir. Et puis il y a l'"option préférentielle pour les pauvres", traduction de la théologie de Vatican II par celle de la libération... or elle s'adresse à l'Eglise catholique, pas à un virus...Et là, maintenant, elle s'adresse aux collectivités publiques :  le critère premier de leur prise en charge des effets de l'épidémie, ça devrait être elle, l'option préférentielle pour les pauvres, pas l'option préférentielle pour "l'économie"...

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