Trois ans de Macron... et après ?

Une présidence jouée à la roulette russe

Il y a trois ans, un personnage apparemment (mais seulement apparemment) sorti de nulle part était élu à la présidence de la République française, sur les décombres de PS et des Républicains. Tous deux, il est vrai, s'étaient littéralement suicidés : le PS en se réduisant à un parti de gouvernement gouvernant contre son programme de parti, les Républicains en présentant un candidat, Fillon, d'abord incapable de rallier le "centre", puis piégé par ses propres pratiques de politicien "à l'ancienne". Bref, Emmanuel Macron était élu. Parce qu'il n'y avait personne en face de lui,. sinon Marine Le Pen. Et qu'un choix politique déjà réduit  par une élection au scrutin majoritaire se réduisait encore plus par l'identité, personnelle et politique, des deux protagonistes. De sorte que si on ne voulait pas de Le Pen on ne pouvait que voter pour Macron, que si on ne voulait pas de Macron on ne pouvait que voter pour Le Pen, et que si on ne voulait ni de Macron, ni de Le Pen on ne pouvait que voter blanc, nul, ou s'abstenir. Et donc sortir du jeu et laisser le terrain aux deux seuls joueurs qui y restaient. Et trois ans plus tard, où en est-on ? malgré tout ce à quoi s'est heurté Macron, des "gilets jaunes" à la pandémie en passant par la mobilisation contre la réforme des retraites, on est est presque au même point, avec comme horizon une présidentielle en 2022 se jouant vraisemblablement, au deuxième tour, entre Macron et Le Pen... A moins que...


"sachons nous réinventer -et moi le premier"


Arrivé au pouvoir sans parti derrière lui, sans élus locaux, sans soutien d'une organisation sociale importante, Macron s'est retrouvé, logiquement, seul face à une opposition sociale (les "gilets jaunes") elle-même sans relais politiques crédible (les tentatives de récupération des partis d'opposition ne pouvant en tenir lieu), et sans structuration solide. Il se voulait "maîtres des horloges", mais il n'a fallu qu'un an et demi pour qu'il se retrouve confronté à la désillusion de celles et ceux qui n'avaient voté pour lui que pour éviter l'"autre". A supposer d'ailleurs qu'illusion il y ait eu : il avait tout de même été élu sans aucune concurrence crédible. Quant au "front républicain" qui l'avait fait élire, il ne signifiait plus grand chose dès lors qu'il ne regroupait plus qu'une partie de ceux qui réprouvent le FN... il aurait fallu que tous y soient pour qu'il ait un sens... il n'en avait plus dès lorsqu'une partie de la gauche y renonçait et qu'une partie de la droite démocratique était prête à s'allier à l'extrême-droite, par dépit, par calcul -ou par amnésie : le Front National, c'est tout de même, au départ, la benne de recyclage de l'antigaullisme forcené des rescapés de Vichy et de l'Algérie française... et c'est le seul parti en lice à la présidentielle qui dressait une "liste noire" des journalistes et des media interdits de couvrir la campagne...

Macron s'est coulé dans les institutions de la Ve République comme tous ses prédécesseurs, c'est-à-dire tous les successeurs de De Gaulle, y compris le plus féroce contempteur de ces institutions et de leur créateur, François Mitterrand. De Gaulle a toujours voulu une "monarchie républicaine", et bien avant d'en être le monarque, voulait qu'elle soit non seulement élective, mais qu'elle le soit au suffrage universel direct. Il avait saisi l'attentat du Petit-Clamart tenté (et presque réussi) contre lui par les derniers partisans de l'Algérie Française, déjà perdue, comme occasion de concrétiser cette volonté, d'inscrire cette monarchie élective dans la Constitution de "sa" République. Et pas seulement pour lui, mais aussi pour ses successeurs, y compris ses adversaires. Celui qui dénonçait en De Gaulle le fauteur d'un "coup d'Etat permanent" ne fut pas le dernier à vouloir jouir du pouvoir que donnait le système instauré par l'"Homme du 18 juin" devenu celui du 13 mai.La Ve a jusqu'ici résisté à tout ce qui aurait pu la faire tomber (il n'a guère manqué à la liste qu'une guerre mondiale) : la Guerre d'Algérie, Mai 68, l'alternance avec la gauche, les Gilets jaunes, la pandémie sans doute... mais si le système institutionnel s'avère solide, il n'en est pas de même de ceux qui l'incarnent et des forces politiques qui s'y sont coulées : si Mitterrand et Chirac s'en sont bien tirés, et si Pompidou n'a été terrassé que par la maladie, tous les autres ont chuté : De Gaulle a démissionné en 1969, Giscard a été battu en 1981, Sarkozy en 2012, Hollande a renoncé à se présenter... Qu'en sera-t-il de Macron ? Et attend-on vraiment une VIe République ? Portée par qui ? par quelles forces, quels acteurs ? D'entre ses partisans, on ne distingue que ceux qui s'investissent d'un rôle messianique plus grand qu'eux... 


Le 16 avril, dans un entretien au "Financial Times", Macron avouait : "nous faisons tous face au besoin profond d'inventer quelque chose de nouveau parce que c'est tout ce que nous pouvons faire". Trois jours avant, dans une intervention télévisée, il prêchait : "sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer -et moi le premier"... lui le premier, toujours... du moins tant qu'une alternative à lui ou Le Pen ne s'est pas construite -et ce n'est pas seulement affaire de candidat ou de candidate, c'est aussi, surtout, affaire de projet, de programme, d'alliances...

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