Aide sociale d'urgence : clause d'attente
L'UDC et le MCG osent tout, c'est même à cela qu'on les reconnaît
Les mots ne manquent pas pour qualifier le
référendum le plus minable lancé depuis longtemps, ce
"référendum de la honte", comme le qualifie notre camarade
Helena de Freitas, celui que l'UDC genevoise et le MCG ont
lancé contre la loi, adoptée par le Grand Conseil, permettant
l'indemnisation des travailleuses et des travailleurs précaires
qui ont perdu leurs revenus pendant la crise provoquée par la
pandémie de Covid-19 et ne peuvent prétendre à aucune autre aide
publique. Les mots ne manquent pas pour qualifier ce référendum
et ses auteurs, mais ceux qui sans doute le qualifieraient le
mieux siéent mal à une chronique estivale. On s'en tiendra donc
à "minable" et "honteux", et à quelques euphémismes patauds.
Motif déclaré du référendum : "on ne peut pas donner des
indemnités pour perte de revenus pour du travail non déclaré".
Comme si la loi consistait en cela (elle n'est pas un salaire de substitution, mais une
aide sociale), comme si les travailleuses et les
travailleurs au noir ou sans statut légal choisissaient
délibérément de l'être et d'être privés de tous droits : si elle
ne conditionne pas l'aide qu'elle prévoit à un statut légal de
qui la sollicite, la plupart (70 %) de celles et ceux qui
pourraient y prétendre ont un statut et un travail légaux, sont
des travailleuses et des travailleurs sur appel, des employées
et des employés domestiques, des travailleuses et des
travailleurs du sexe, des ouvriers de la construction, des
intermittentes et des intermittents du spectacle, des étudiantes
et des étudiants égrainant les petits boulots... au total, 3000
personnes, dont aucune ne pourrait recevoir plus de 4000 francs
(alors que le salaire brut médian en Suisse ascende à près de
7000 francs par mois). Ni plus de 80 % du revenu perdu. Ni
pendant plus de deux mois. On est bien loin des 2,7 millions
obtenu à titre rétroactif par le Parrain de l'UDC pour sa
retraite personnelle de fugace Conseiller fédéral, mais peu
importe à l'UDC et au MCG : sur les plus faibles, ces courageux osent
tout. C'est même à cela qu'on les reconnaît.
"La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres"
On ne sait pas si le référendum UDC-MCG contre
l'aide d'urgence votée par le Grand Conseil aboutira, et s'il
aboutissait, on ne peut exclure que la loi soumise au vote
populaire soit finalement refusée, mais peu importe sans doute
aux référendaires : leur sale coup a (avec la complicité du PLR
qui, comme eux, a voté contre la clause d'urgence qui aurait
permis la mise en œuvre immédiate de la loi), bloqué l'octroi
de l'aide urgente : le délai référendaire au 14 septembre
exclut son versement d'ici là , et l'éventuel délai avant la
votation la renvoie vraisemblablement à la fin de l'année. Juste
avant noël. D'ici là, les pauvres pourront reprendre le chemin
qu'ils connaissent déjà : celui de la distribution des colis
d'aide alimentaire (plus de 16'000 ont été distribués aux
Vernets, et à la mi-juin 14'000 personnes étaient inscrites dans
la base de donnée des Colis du Coeur : c'est quatre fois plus
qu'avant l'arrivée de la Covid).
On a déversé, on déverse
encore, et on va continuer de déverser des dizaines,
et au bout du compte des centaines de milliards pour
aider les entreprises, financer le chômage partiel,
relancer la consommation, soutenir l'hôtellerie de
luxe... Certains
employeurs de travailleuses et travailleurs "au noir
auront peut-être même bénéficié de l'aide, versée
"rapidement et de manière non bureaucratique" par la
Confédération aux PME en difficulté : pour cela, on
a trouvé sans problème (et sans référendum) 40
milliards... à Genève, on a même trouvé le
moyen de faire voter par les députés un crédit pour
compléter l'indemnisation des cadres et un autre pour
soutenir le secteur du tourisme, on a accordé 40
millions à fonds perdus et 60 millions de prêts dont
la moitié ne seront jamais remboursés... mais quinze
millions pour aider celles et ceux qui n'ont aucune
aide, ce serait trop ?
"Nous avons voté des aides pour tout le monde et on dirait non
à ceux qui en ont le plus besoin ?" s'interrogeait le député
PDC Bertrand Buchs... La réponse donnée à cette question par
l'UDC et du MCG, est leur référendum, "une attaque en règle
contre les travailleurs et travailleuses qui ont perdu leur
salaire", résume Thierry Apothéloz : l'UDC et le MCG
"préfèrent administrer une punition collective plutôt que
renforcer la cohésion sociale". Une "punition collective" pour
quelle faute ? la pauvreté... Ou
pour le chômage : l'UDC a aussi lancé un référendum (fédéral,
celui-là) contre la "rente-pont" devant permettre aux chômeurs
et chômeuses sexagénaires en fin de droit d'atteindre l'âge
donnant droit aux rentes AVS et 2ème pilier sans avoir à
recourir à l'aide sociale...
Choisir ses pauvres, les "bons pauvres" contre les mauvais, les pauvres méritants contre les ingrats, les vrais pauvres contre les faux, les vieux contre les jeunes (ou l'inverse), les familles contre les individus, les indigènes contre les migrants, les sédentaires contre les nomades, les encartés contre les sans-papiers, c'est la vieille charité à la tête du client, la compassion sélective, la bienfaisance sourcilleuse et éducative : on donne à qui on veut, sans que ceux à qui on donne aient quelque droit que ce soit à recevoir. A quoi s'oppose la solidarité sociale, celle qui redistribue à tous ceux qui n'ont rien, ou pas grand-chose, un peu de ce qu'on a pris à ceux qui ont beaucoup. On n'est plus dans une relation de pouvoir entre ceux qui donnent et qu'il faut remercier d'avoir donné et ceux qui reçoivent et qui doivent remercier ceux qui ont donné, on est alors dans un rapport de droit : les plus pauvres ont un droit à l'aide, l'Etat ou la Commune a le devoir de les aider. Tout le monde donne, puisque l'Etat, ou la Commune, c'est tout le monde. Ce que les "libéraux" (au sens du libéralisme économique, pas du libéralisme politique) détestent, c'est précisément cela : qu'entre le haut et le bas de la société, il y ait la société elle-même, dont Margaret Thatcher disait qu'elle n'existe pas. Eppur si muove...
Nous ne sommes certes pas des amoureux
fétichistes de la Constitution fédérale en vigueur, -mais nous
n'en avons pas (encore) d'autre à lui opposer. Et puis, il y a
tout de même dans ce texte fondamental de la libre Helvétie, qui proclame le droit de toute
personne en détresse de disposer du minimum vital, quelques
phrases et quelques dispositions qui valent la peine qu'on les
défende -y compris, ou surtout, contre ceux qui ont accoutumé de
se patenter comme des défenseurs de la patrie. En ce jour de
fête nationale, on recommandera donc à
l'UDC genevoise et au MCG (appendice de l'UDC au parlement
fédéral) de relire du préambule constitutionnel cette phrase
essentielle (même si on n'aime pas trop le terme de "communauté"
pour qualifier une société) : "la force de la communauté se
mesure au bien-être du plus faible de ses membres". Les "plus
faibles", ce sont celles et ceux qui font la queue lors des
distributions des sacs d'aliments et de produits de première
nécessité. Celles et ceux qui ont quatre fois et demi plus de
risques d'être contaminés par le Covid que la moyenne. Celles et
ceux qui n'auraient pas mangé à leur faim ce printemps si la
Caravane de la Solidarité n'y avait pourvu. Celles et ceux qui
se retrouvent peut-être sans logement, contraints à recourir à
l'hébergement d'urgence, ou, comme plus de 200 d'entre elles et
eux, à la rue. Celles et ceux qui n'auront pas pu se faire
soigner quand le besoin s'en faisait sentir. Celles et ceux qui
étaient déjà dans la marge et sont passé hors de la page. Celles
et ceux à qui l'on dit qu'elles et ils n'ont qu'à attendre un
vote populaire en décembre pour recevoir l'aide qui leur est
nécessaire pour survivre, et qu'ils ni elles ne peuvent recevoir
sous la forme "normale" de l'aide sociale -ce n'est d'ailleurs
pas d'une telle aide sociale "normale" dont elles et ils ont
besoin, ni d'un salaire de substitution, mais d'une aide
exceptionnelle, conditionnelle, limitée dans le temps et le
montant, et dotée d'un budget spécifique, puisque celui de
l'aide sociale "normale" est entièrement consumé par elle -et
par l'augmentation constante de la population qui en dépend pour
vivre. Ou seulement vivoter, en attendant de devoir se
contenter de survivre.
"Quand les gens ont faim, je ne peux pas attendre" pour les aider, confie à la "Tribune de Genève" (du 22 juillet) la fondatrice de la Caravane de la Solidarité, Silvana Mastromatteo. "Quand les gens ont faim, ils n'ont qu'à attendre notre bon vouloir pour manger", répondent l'UDC et le MCG.
Choisis ton camp, citoyen, citoyenne.
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