Initiative populaire cantonale "23 francs, c'est un minimum" : Vivre de son travail


 Le 27 septembre, à Genève, le peuple se prononcera sur une initiative populaire cantonale ("23 francs, c'est un minimum") instaurant un salaire minimum légal de 23 francs de l'heure (4860 francs par mois pour 41 heures de travail hebdomadaire) "Il est inadmissible que des travailleurs.euse.s ne parviennent pas à vivre de leur travail, quel qu'il soit", proclame la Communauté genevoise d'action syndicale (CGAS), faîtière de l'ensemble des syndicats genevoise, qui a porté l'initiative, soutenue par toute la gauche.
30'000 travailleuses (surtout) et travailleurs bénéficieraient d'une augmentation de salaire : elles et ils travaillent dans des secteurs (l'hôtellerie-restauration, le commerce de détail, la sécurité, le nettoyage, l'économie domestique, l'agriculture, notamment) où le salaire, même conventionnel (mais la moitié de l'ensemble des  salariées et des salariés genevois n'est pas protégée par une CCT) est encore souvent inférieur à 3500 francs par mois (3300 francs pour 45 heures hebdomadaires dans l'agriculture à Genève, par exemple), si bien qu'elles et ils  doivent recourir à l'aide sociale pour pouvoir vivre correctement.  Le montant proposé pour le salaire minimum correspond à la somme nécessaire à Genève pour pouvoir chaque mois couvrir ses besoins essentiels et ses charges sans devoir recourir à une aide sociale. Et que l'on ne nous dise pas qu'instaurer comme un minimum légal un salaire si modéré mettrait en danger l'emploi : cette vieille plaisanterie commence à sentir sérieusement le faisandé -surtout quand elle nous est servie par des gens qui gagnent trois, quatre ou cinq fois plus que ce qu'ils considèrent comme excessif de garantir aux autres... et, tel le directeur général de la Fédération des entreprises romandes, Blaise Matthey, accusent les initiants de "balayer d'un revers de la main la longue tradition de dialogue social qui a permis à notre canton d'offrir des conditions de travail particulièrement attrayantes. Du genre de salaires inférieurs à 3500 francs par mois pour un travail à plein temps et des tâches d'entre les plus pénibles ?

Protégeons les salaires, pas les frontières

En 2011, à Neuchâtel, le peuple avait accepté le principe d'un salaire minimum cantonal de 20 francs de l'heure, mais quatre recours avaient été déposés au Tribunal fédéral contre la loi d'application adoptée par le Grand Conseil, par les patrons de la restauration, du nettoyage et de l'alimentation, qui déniaient au canton le droit de légiférer en la matière. La question était, pour les juges, de savoir si un salaire minimum est une mesure d'ordre économique ou social. En juillet 2017, ils tranchaient (et rejetaient les recours) : cette mesure ne viole pas la liberté économique et relève de la politique sociale, parce qu'elle est un moyen de prévenir la pauvreté. Le salaire minimum neuchâtelois a donc été validé. Le Tessin et le Jura ont également adopté le principe d'un salaire minimum, le Jura l'ayant introduit en 2017, au niveau neuchâtelois de francs de l'heure.

Un salaire minimum légal, c'est, s'il est fixé à un niveau suffisant, un moyen de réduire la nécessité pour des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs pauvres, de recourir à l'aide sociale pour pouvoir boucler leurs fins de mois parce que leur salaire ne le leur permet pas -l'aide sociale, dans ces cas là, est un véritable encouragement à la sous-enchère salariale, et un subventionnement des employeurs sous-payant leurs employés. Les bas-salaires sont une charge pour les collectivités publiques, qui doivent compenser par des aides, des allocations, des subsides, ce qui manque pour atteindre le minimum vital.

Coïncidemment, l'initiative cantonale pour un salaire minimum est soumise au peuple en même temps que l'initiative fédérale "pour une immigration modérée", qui vise à abolir l'accord de libre-circulation avec l'Union Européenne. Le slogan de campagne des syndicats et de la gauche en faveur du salaire minimum, "Protégeons les salaires, pas les frontières" répond à la proposition de l'UDC d'en finir avec les mesures d'accompagnement, liées à l'accord de libre-circulation et qui tomberaient avec lui. Le président de la Communauté genevoise d'action syndicale, Davide de Filippo, résume : "ces deux objets de votation sont les deux faces (...) d'un même combat : celui de la protection des salaires contre celles et ceux qui rêvent de pouvoir exploiter les travailleuses et les travailleurs sans aucune limite". Car c'est bien à cela qu'aboutirait, si elle était acceptée, l'initiative de l'UDC : l'immigration ne cesserait pas, mais les immigrants se retrouveraient sans droits, avec des salaires définis par les seuls employeurs. Et du coup, le dumping salarial s'en trouverait renforcé, et les salariés de Suisse moins protégés contre lui. Au fond, l'UDC ne veut pas moins de migrants, elle veut seulement des migrants exploitables à merci -des immigrants légaux rendus à la situation des immigrants illégaux. Dont on rappellera que le nombre croît toujours quand les possibilités d'immigration légale se réduisent.

Que toute salariée, tout salarié, travaillant à plein temps puisse vivre de son salaire, est-ce une revendication excessive ? Dans un canton où, en 2018, le salaire mensuel brut médian s'établissait à 7306 francs (pour 40 heures hebdomadaires), un salaire brut médian de 4860 francs (pour 41 heures), soit les deux tiers du salaire médian, c'est juste le niveau minimum de la survie sociale, celui des "bas salaires" -et 17,8 % des salarié-e-s, dont deux tiers de femmes, devaient s'en contenter, au mieux : le salaire médian dans les secteurs de l'industrie alimentaire, de l'hébergement et de la restauration, des services personnels, était inférieur au salaire minimum proposé par l'initiative... près d'un-e salarié-e sur dix à Genève gagne (pour un plein temps de 41 heures) moins de 4000 francs par mois, et un sur vingt moins de 3500 francs... si on est seul, sans enfant, sans personne à charge, qu'on dispose d'un logement social, qu'on n'a pas de voiture, qu'on a une prime d'assurance-maladie basse avec une franchise élevée et des subsides publics, qu'on ne paie pas d'impôt direct, qu'on ne tombe jamais malade et qu'on ne prend pas de vacances, cela suffit, peut-être... Sinon...

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