Votations fédérales et cantonales : : Alors quoi, elle vient, cette dernière heure ?
Il y avait, à Genève, pas moins de dix objets au menu des votations de dimanche. Et pour six d'entre eux (trois objets fédéraux, trois objets cantonaux), on nous promettait une catastrophe s'ils étaient, soit acceptés, soit refusés. Il eût été surprenant que tous les prononcements populaires soient de nature à écarter toutes les prédictions apocalyptiques. Et notre mauvais esprit nous incitait même à espérer que pour certains d'entre eux, le choix populaire soit précisément celui que les uns ou les autres exorcisaient. Histoire de vérifier que la dernière heure annoncée allait sonner, que les haricots étaient proche de leur fin et que les cavaliers de l'Apocalypse étaient pas prêts à déferler sur, pantelantes, la Suisse ou Genève. Mais il faudra bien qu'on en rabatte de nos attentes : ni le salaire minimum ni "Zéro pertes", ni la suppression possible de 4000 places de parcage de bagnoles en surface ne sonneront la dernière heure du Grand Soir. Damned, encore raté !
Quelque chose comme un front du refus des facilités politiques
La prédiction de la catastrophe est un assez vieil exercice, lors des campagnes de votations -un exercice d'ailleurs assez tentant pour que nous ne résistions pas toujours à nous y livrer. Il nous semble bien, toutefois, qu'à droite, on s'y livre avec une plus belle constance. Il nous souvient que lorsqu'en 1981, l'initiative "Etre Solidaires", lancée par la gauche, exigeait l'abolition de l'indigne statut du saisonnier, le patronat des secteurs grands utilisateurs de ce statut clamaient que cette abolition allait ravager leur branche. L'initiative avait été refusée -le statut du saisonnier n'en allait pas moins être aboli quelques années plus tard, sans que les branches où résonnaient ces clameurs n'en aient souffert. On avait déjà entendu pareilles prédictions collapsomaniaques au XIXe siècle lors des campagnes pour l'abolition du servage et de l'esclavage là où ils sévissaient encore -en Russie, aux Etats-Unis, notamment...
Avant dimanche donc, on nous assurait que l'introduction d'un salaire minimum de 4000 francs allait ravager l'économie genevoise. Que l'adoption de l'initiative "Zéro Pertes" allait provoquer l'exode massif de tous les contribuables friqués. Que celle de la modification de la loi sur le stationnement allait ruiner tous les commerces du centre-ville. Que celle de l'initiative udéciste d'abolition de la libre-circulation allait transformer la Suisse en quelque chose du genre de l'Albanie d'Enver Hodja (nous, il nous suffisait de rappeler qu'elle allait susciter une resucée du statut du saisonnier et encourager l'immigration illégale à force d'entraver l'immigration légale). Que si la modification de la loi sur la chasse était refusée, les loups (ouh !) allaient entrer dans nos villes après avoir boulotté tous les troupeaux des montagnes. Et que si la Suisse renonçait à acheter de nouveaux avions de combat, son armée se retrouverait avoir une capacité de défense à peu près équivalente à celle de la Garde Vaticane.
Le salaire minimum ? Genève l'accepte. L'initiative "Zéro Pertes" ? Genève l'accepte aussi.
Heureusement que l'initiative udéciste contre la
libre-circulation a été refusée : on
continuera de pouvoir entrer et sortir de Suisse, ça facilitera
l'exode (fût-ce en radeau sur le lac) des gros contribuables
genevois chassés du bout du lac par les excès gauchistes de la
populace locale. De toute façon, avec la fin de la compensation
automatique des places de stationnement supprimées, des tribus
entière de cycloterroristes et de piétons intégristes assoiffés
du sang des automobilistes vont déferler au centre-ville pour
collectiviser les commerces déjà poussés à la faillite par les
Khmers verts, roses et rouges. Même qu'en plus va y'avoir des
loups : la loi sur la chasse est refusée. Paraît que la Bête du Gévaudan a pris la route vers la Suisse.
Bon, heureusement, on va acheter de nouveaux avions de combat
(malgré le vote des Romands, des Bâlois et des Tessinois). La
Bête va s'en prendre plein la gueule et les
avions russes et chinois n'ont qu'à bien se tenir loin de nos
frontières, leurs avions ne la passeront pas. Ou alors en
payant.
Plus sérieusement, à Genève, les votes donnent ce
qu'on se plaira à considérer comme un signal clair : l'adoption
d'un salaire minimum, l'adoption d'une initiative
"anti-austérité", le refus franc et massif d'une initiative
faisant des immigrants (et des frontaliers) les boucs-émissaires
de la crise, forment quelque chose comme un front du refus des
facilités politiques (et des budgets, cantonal et municipaux)
qui les signifient.
En refusant, bien plus nettement qu'en moyenne
suisse, l'initiative udéciste contre la libre-circulation et
donc les mesures d'accompagnement, les Genevois ont refusé le
démantèlement de mesures, pourtant encore insuffisantes, de
protection des travailleurs. En refusant l'achat d'avions de
combat, ils ont refusé que l'on gaspille les ressources
publiques à des dépenses sans aucun impact sur la situation
réelle des gens. En
acceptant l'initiative "zéro pertes", ils ont posé que les
cadeaux fiscaux accordés aux plus aisés et aux plus puissants ne
devaient pas affaiblir les services publics, même s'ils
faisaient perdre des ressources considérables (des centaines de
millions) au canton et aux communes.
Ils veulent dirent quoi, ces
résultats, d'autant plus significatifs qu'ils résultent d'une
participation majoritaire au vote ? l'adoption d'un salaire minimum, l'adoption d'une
initiative "anti-austérité", le refus franc et massif d'une
initiative faisant des immigrants (et des frontaliers) les
boucs-émissaires de la crise, forment quelque chose comme un
front du refus des facilités politiques (et des budgets,
cantonal et municipaux qui les signifient). En acceptant d'instaurer un salaire minimum, les
Genevois ont refusé d'admettre comme une fatalité que des
dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs ne
puisse couvrir leurs besoins par leur salaire. Or d'entre ces
travailleuses et ces travailleurs, il y a ceux employés à
certaines tâches que les collectivités publiques ont
"externalisées", c'est-à-dire confiées à des sociétés privées,
alors qu'elles devraient l'être par l'Etat ou la commune et à
leur propre personnel. Le nettoyage des locaux et des lieux
publics, par exemple... Et puis, il y a tous ceux et toutes
celles qui sont hors la vue, ou n'apparaissent que lorsqu'ils
et elles sont contraints de se rendre aux distributions de
produits alimentaires et de première nécessité.
L'action sociale, l'intégration
dans le service public de celles et ceux qui travaillent pour
l'Etat ou la Commune sans en être les employés, l'aide
d'urgence, l'hébergement des sans-abris (mais aussi la
végétalisation de la Ville ou le développement de la mobilité
douce), pour ne prendre que ces exemples), cela nécessite des
moyens. Humains et financiers. Les votes de dimanche ne les donnent
certes pas, mais, en particulier celui pour "zéropertes", il
les exige de celles et ceux qui ont le pouvoir de les obtenir.
A elles et eux, donc, et à nous, de respecter ce mandat.
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