"Zero pertes" de prestations et de ressources fiscales : Les besoins, les moyens, l'impôt
Lancée au printemps 2018 par la gauche,
l'initiative "Zéro Perte", soumise au vote deux ans et demi
plus tard, dimanche (vous avez encore deux jours pour voter par
correspondance -après, il vous faudra déposer vous-mêmes votre
bulletin eu service des votations ou dimanche matin au local de
vote) entend fixer un cadre aux réformes fiscales (celles de ces
25 dernières années ont multiplié les cadeaux aux contribuables
les plus aisés et ont coûté plus d'un milliard aux caisses
publiques) : réduction de la concurrence fiscale entre cantons,
préservation du financement des services publics et des
prestations à la population, maintien du niveau des recettes
fiscales, renforcement de la progressivité de l'impôt.
L'initiative a été lancée deux ans avant l'arrivée du
coronavirus. Six mois après cette survenue, elle est plus
pertinente encore, en posant la question, centrale, du rôle de
l'impôt, et plus précisément encore de l'impôt direct, pour la
préservation des prestations et des services publics. Une petite
piqûre de rappel sur cette fonction de l'impôt n'est pas
inutile, même à gauche, en temps de crise sociale et de débats
budgétaires, de besoins accrus d'une population et d'une
précarité en croissance continues.
"La fiscalité est centrale dans le
pacte républicain"
Genève est sans doute le canton le plus
inégalitaire de Suisse (si l'on prend comme mesure la
répartition de la fortune -40 % des contribuables genevois n'en
ont aucune), en même temps que l'un des plus riches : la
richesse globale des ménages genevois y augmente certes de 8 %
par an, mais 80 % de cette augmentation se concentre dans la
toute petite minorité de millionnaires, multimillionnaires et
milliardaires. Pendant quoi 70'000 personnes doivent avoir
recours à l'aide sociale pour surnager. Et pendant que se
succèdent les cadeaux fiscaux aux plus aisés (un par an depuis
vingt ans, en moyenne), et donc les pertes de ressources pour
financer hôpitaux, aide à domicile, crèches, voirie, aide
sociale, écoles et engagement de personnel au service de la
population. Tout ce que seul l'impôt finance.
Riche avec ses pauvres, Genève est une
République. Or "la fiscalité est centrale dans le pacte
républicain", rappelle le sociologue Alexis Spire. Mais cette
centralité a une condition : pour que les citoyennes et les
citoyens consentent à l'impôt, il faut qu'eux-mêmes en aient
décidé (c'est le cas en Suisse), et qu'il soit juste. Et
justement utilisé : l'impôt doit financer les tâches des
collectivités publiques, pas finir dans les poches des
"décideurs". Quant à la justice fiscale, elle n'est garantie que
par l'impôt direct, progressif, sur le revenu et la fortune, pas
par l'impôt indirect (la TVA) ou les taxes fixes, dont les taux
sont les mêmes pour le sdf (qui le paie, cet impôt là) et le
milliardaire. Or la part de l'impôt indirect et des taxes dans
le financement de l'Etat, des régions, des communes, augmente
constamment (au détriment de celle de l'impôt direct). Et les
"niches" fiscales offertes aux plus riches sont de plus en plus
nombreuses. L'économiste Gabriel Zucman rappelle que "l'objectif
final d'un impôt fortement progressif n'est pas de remplir les
caisses de l'Etat mais de réduire les inégalités"... Mais alors, si l'impôt est un levier de redistribution
des ressources des riches vers les pauvres, pourquoi est-il
désormais davantage contesté par les pauvres (et les "classes
moyennes") que par les riches, alors que l'instauration de
l'impôt sur le revenu -qui est exemplairement un impôt
redistributif- avait été violemment contesté par les plus
riches, les professions libérales et les indépendants (dont les
paysans) ? Même l'impôt indirect (la TVA), injuste et non
redistributif n'est que peu contesté par ceux qu'il frappe
pourtant le plus lourdement (les moins riches, précisément)...
Les taxes spécifiques, pourtant, sont dénoncées pour cette
raison, leur injustice, même quand (comme les écotaxes, ou les
taxes sur les carburants), on ne remet pas en cause la
légitimité de leur assiette, mais le fait que, non
proportionnelles, elles pèsent plus lourd sur les personnes, les
ménages, les entreprises, qui ne peuvent se passer de consommer
ce qu'elles taxent (l'essence ou le diesel, par exemple, pour
les ménages des périphéries sans transports publics efficaces).
"La question de la redistribution est redevenue au premier plan", signale le politologue Gilles Finchelstein. Et cette question contient, forcément, celle de la fiscalité. "L'injustice fiscale est le processus par lequel, alors que les inégalités augmentent, le système fiscal devient de moins en moins distributif" résume Gabriel Zucman. La fiscalité, en effet, n'est pas un instrument d'extraction de ressources financières, mais un système de redistribution des ressources existantes, et d'affectation de ressources à des investissements ou des dépenses de fonctionnement qui concrétisent des choix politiques. En période de crise sociale, elle permet d'investir dans la lutte contre la pauvreté. En période de crise environnementale, elle devrait permettre d'investir dans la création d'une économie respectueuse de l'environnement -voire restauratrice des environnements détruits. En période de crises sociale et environnementale conjuguées, elle doit financer le renforcement des secteurs publics essentiels (l'éducation, la santé, l'énergie). Socialement, ceux (personnes ou entreprises) qui gagnent le plus doivent contribuer le plus. Environnementalement, ceux qui polluent le plus doivent contribuer le plus.
Voter OUI à l'initiative "Zéro Pertes", accepter, en nos temps de crise, d'augmenter un peu la pression fiscale directe, introduire la progressivité de l'impôt pour les entreprises (l'impôt sur le bénéfice et le capital est encore à taux fixe), c'est réaffirmer les deux fonctions de l'impôt : celle qui finance les prestations à la population, celle qui réduit les inégalités sociales. Celles qui justifient que l'on prélève un impôt progressif, et qu'on ne s'en tienne pas à la TVA ni n'en revienne à la taille, à la gabelle et à la taxe sur les portes et fenêtres.
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