Genève : Le Conseil municipal donne un préavis positif à la Cité de la Musique

 


Musiques de la Cité

Mercredi soir, le Conseil municipal de la Ville de Genève a donné, sur proposition du Conseil administratif, un préavis positif au plan localisé de quartier devant permettre la construction d'une "Cité de la musique" dans le quartier des Nations. Ce vote ne portait que sur un préavis municipal -le canton peut en faire ce qu'il veut, mais ceux de la Ville pèsent lourd, autant que la Ville (40 % de la population, et les deux tiers de toutes les charges de politique culturelle genevoise). Et à ce préavis, le Conseil municipal a ajouté, sur proposition socialiste, deux "recommandations"  : l'une excluant une participation financière de la Ville au budget de fonctionnement de la nouvelle institution  et l'autre recommandant le renforcement du soutien matériel de la Ville aux "musiques actuelles de création", qui s'étaient d'ailleurs invitées dans le débat par une prise de position de leur fédération, la Fédération genevoise des musiques de création (FGMC), pour qui "le projet de Cité de la musique ne répond pas aux besoins actuels de la scène musicale genevoise". Elle a raison : ce projet ne répond qu'au désir de ses promoteurs privés. Comme d'autres institutions culturelles genevoises, en leur temps... Le préavis de la Ville sera très certainement la cible d'un référendum, qui ouvrira un débat avec des fronts transcendant le clivage gauche-droite, puisqu'au Conseil municipal,la gauche comme la droite étaient divisées : le PS avec le PLR, le PDC et le MCG d'un côté, les Verts et "Ensemble à Gauche" avec l'UDC de l'autre côté. Le référendum ne portant que sur un préavis, le vote populaire ne sera pas décisif, comme le fut celui contre la rénovation du MAH, mais il sera, s'ils en sont capables, l'occasion pour tous les participants à la campagne de présenter leur projet de politique culturelle. En cela, le référendum sera bienvenu si on arrive à en saisir l'occasion de parler d'autre chose que des arbres qui seraient abattus et de ceux qui seraient replantés. Si au prétexte de la Cité de la musique, on arrive à faire entendre les musiques de la Cité...

Parfois, la politique peut ressembler au judo plus qu'au pugilat...

Le Conseil municipal de la Ville a donc donné un préavis favorable au plan d'utilisation des sols indispensable à l'édification d'une Cité de la Musique. Mais le débat et le référendum qui sans doute s'ensuivra, et la campagne précédant le vote, a été et seront encore l'occasion de mettre ce projet en relation avec la politique culturelle menée, ou à mener, par la Ville. Le projet de Cité de la musique n'est pas un projet de la Ville, mais c'est un projet en ville. Et donc, forcément, un projet qui dit quelque chose de la politique culturelle de la Ville et des choix des priorités de cette politique.

La Cité de la Musique, pourrait s'ouvrir en 2024. Elle serait construite par une Fondation privée, la Fondation pour la Cité de la Musique (FMCG), grâce notamment au soutien massif (209 millions) de la Fondation Wilsdorf. Il devrait en coûter au total plus de 300 millions pour la création du lieu, mais cet investissement serait totalement couvert par des fonds privés -autrement dit, ne prétériterait aucun autre investissement possible dans la culture. Quant au fonctionnement de l'institution, la Ville refusant d'y prendre part (nul ne peut d'ailleurs l'y forcer) puisqu'elle assume déjà, presque seule collectivité publique à le faire, celui du Grand Théâtre, c'est au soutien des autres collectivités publiques (Confédération, canton) qu'il faudrait faire appel. Il en coûterait au bas mot six millions et demi de francs par an de fonctionnement. Le Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz propose la cantonalisation de l'institution, qui abritera une Ecole (la Haute Ecole de Musique) totalement subventionnée par le canton, et un orchestre (l'Orchestre de la Suisse romande) qu'il subventionne partiellement, avec la Ville. La décision, toutefois, devra être prise par le Grand Conseil, à majorité de droite, dont on connaît la pusillanimité dans le domaine culturel -surtout quand il s'agit de payer.  Le fameux "enchevêtrement" des compétences (et des charges) dans le domaine culturel n'est un problème que pour les administrations municipales et cantonale de la culture : pour les acteurs culturels, le double subventionnement est une garantie contre la dépendance absolue à l'égard d'un seul subventionneur public -le transfert aux communes (essentiellement à la Ville de Genève) des subventions versées par le canton à une trentaine d'institutions, de lieux, d'acteurs culturels les rend ainsi totalement dépendantes de la Ville -et des sautes d'humeur du Conseil municipal.

Le Grand Théâtre, l'Orchestre de la Suisse romande, la Bibliothèque de Genève : ces trois institutions culturelles, dont le rôle et le rayonnement dépassent largement les limites de la Ville (mais également celles du canton) sont municipales. Doivent elles devenir cantonales, puisqu'en réalité elles sont régionales ? Et le canton est-il prêt à en assumer totalement la charge ? La Ville de Genève n'a aucune intention de "fermer les portes" du Grand Théâtre au canton -elle plaide depuis des années pour qu'il prenne sa part de la charge que représente l'opéra. Toute la charge, ou une charge partagée avec la commune ? Parce que si la Ville, qui année après année assume les 45 millions (voire plus, si on y ajoute les investissements) de charge financière que représente le Grand Théâtre, est disposée à partager non seulement cette charge, mais aussi la responsabilité de l'institution -autrement dit : le pouvoir sur l'institution, dans une "gouvernance partagée", elle n'est pas prête à ce que ce partage la confine à un rôle de concierge, à ce qu'elle continue à payer le bâtiment, son entretien, sa rénovation, et les équipements, et le personnel, pendant que le canton ne se chargerait que de la subvention d'exploitation, qui représente moins du quart du coût total de l'opéra.

Il y a deux manières de mener une politique culturelle : définir une culture officielle ou assumer le pluralisme culturel. L'appel à "faire des choix" dans le soutien à la création et à la représentation culturelles relève souvent de la première manière, ce que la droite qualifie de "politique de l'arrosage" de la seconde. Nous en tenons pour la seconde. Parce qu'elle seule est respectueuse du pluralisme des contenus, des formes, des démarches et de la diversité des publics. De ce point de vue, ce qui nous importe, dès lors que la Cité de la musique serait totalement prise en charge par d'autres que la Ville, sera, comme l'exprime la recommandation que nous avons fait accepter par le Conseil municipal,  de renforcer le soutien qu'elle apporte à d'autres musiques que celles qu'accueillerait, avec l'OSR et la Haute Ecole. la nouvelle institution. Parce que nous refusons d'opposer les besoins, les contenus, les formes, les acteurs et les actrices de la culture, parce que nous refusons d'opposer le patrimoine musical aux musiques actuelles de de création, nous n'avons aucune raison de nous opposer à une Cité de la musique, et toutes les raisons de saisir l'occasion de sa création pour renforcer le soutien de la Ville à toutes les musiques que cette Cité n'accueillerait pas, et qui ne bénéficient que d'une part très modeste des dépenses culturelles municipales, massivement consommées par les grandes institutions. Il y a, rappelle la Fédération genevoise des musiques de création, 160 "structures actives dans la musique à Genève". Et toutes méritent d'être soutenues, parce que toutes les formes de création musicales concourent au paysage musical genevois. Or refuser d'opposer les besoins, les champs culturels, n'est qu'une posture commode si on n'en fait qu'un principe, sans faire l'effort de le traduire en actes et en moyens. Et paradoxalement, l'accord de la Ville à la Cité de la Musique lui donne l'occasion de renforcer ces moyens -et nous donne celle de l'y inciter. On peut le faire, et on le fera, dans le cadre du budget 2021,

Au fond,il s'agit de dire, et de faire en sorte, que dans les choix de politique culturelle, la Ville privilégie ce qu'elle seule peut soutenir, ce que les sponsors privés ne soutiennent pas, ce qui n'intéresse aucun mécène, ce qui n'a peut-être pas encore de public, d'abonnés, de cercles de donateurs. Le projet de Cité de la Musique est un projet privé (comme d'ailleurs le projet de Cité du cinéma autour du Plaza) : il n'y a pour nous, du point de vue des choix culturels, aucune raison de s'y opposer dès lors qu'il ne pèse en rien sur les ressources que la Ville peut allouer à la création -non à la place, mais en sus de celles qu'elle alloue déjà à la représentation. Ne nous opposant pas au projet de Cité de la Musique, nous entendons bien nous appuyer sur lui pour demander, et obtenir, un renforcement du soutien de la Ville aux musiques actuelles de création. Nous refusons d'opposer les champs culturels les uns aux autres, pas de nous appuyer sur l'un pour mieux soutenir l'autre. Parfois, la politique peut ressembler au judo plus qu'au pugilat...




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