Initiative pour des "multinationales responsables" : Une évidence à soutenir

 

Le 30 septembre dernier, deux conférences de presse de droite engageaient la campagne sur l'initiative "pour des multinationales responsables" : une conférence de presse pour combattre l'initiative, une autre pour la soutenir. Les présidents du PLR,du PDC et de l'UDC ont sonné le tocsin contre l'initiative, ceux du PBD et du Parti évangélique  et des élus Verts libéraux et démocrates-chrétiens l'angelus pour l'initiative. On va vivre une étrange campagne, à droite du champ politique (à gauche, pas de problème, tout le monde est pour). Ce que l'initiative demande tient de l'évidence : les entreprises qui ont leur siège en Suisse doivent rendre compte de leurs actes à l'étranger , et celles qui causent des dommages à l'environnement et violeraient des droits humains doivent en être tenues pour responsables devant la justice.  Autrement dit : les multinationales doivent assumer leurs actes. Celles qui n'ont pas à se reprocher des violations des droits fondamentaux n'ont rien à craindre, seules celles qui se comportent comme des gougnafières, et seules les multinationales (les PME ne sont pas concernées) sont visées : comme le rappelle le démocrate-chrétien fribourgeois Dominique de Buman, "seuls quelques groupes ne respectent pas les droits humains. Il faut les empêcher d'agir de la sorte". Et seule l'initiative peut y contribuer, pas le contre-projhet insipide des Chambres fédérales, du Conseil fédéral et des multinationales elles-même.

Etre propre en Suisse et dégueulasse en Afrique ?

On peut comprendre, sans y compatir, l'inquiétude de la droite face à l'initiative "pour des multinationales responsables" de leurs actes : le succès, il y a quinze jours, du référendum, contre la loi sur la chasse, et le presque succès de l'opposition à l'achat de nouveaux avions de chasse, ont démontré la force de frappe des organisations non-gouvernementales et des mouvements de base. Or plus de 130 de ces organisations et mouvements soutiennent l'initiative, des milliers de drapeaux à son logo sont arborés aux fenêtres et sur les balcons du pays, un comité du centre et de droite, comptant plus de 300 représentant-e-s politiques du PVL, du PDC, du PBD, du PLR, de l’UDC, du PEV et de l’UDF, la soutient, ainsi qu'un comité de plus de 250 chefs d'entreprise, que 600 paroisses et les faîtières catholique et protestante, près de 450 comités locaux et des partis cantonaux (les Verts libéraux vaudois, le PDC genevois) ou des organisations politiques de jeunes (les Jeunes Verts libéraux, par exemple), contre le mot d'ordre de leurs instances fédérales. "Il ne faut pas croire que ce ne sont que des gens de gauche qui se battent pour l'environnement etles droits humains. Ou alors, c'est une piètre image que les gens de droite se donnent d'eux-mêmes", soupire le démocrate-chrétien Dominique de Buman. On ne le lui fait pas dire.

La plupart des entreprises suisses n'ont strictement rien à craindre de l'initiative : les pratiques qu'elles recommandent, elles les assument déjà. Quelques multinationales, comme Glencore (on lira à son propos l'instructif article du "Courrier" d'hier : "Révolte contre les mines", sur https://lecourrier.ch/2020/10/05/revolte-contre-les-mines/) et Syngenta, ont en revanche un modèle d'affaire irresponsable, qui se résume à un cynique "tout est bon de ce qui nous profite" : pollution de l'air, de l'eau, de la terre, assassinats de militants paysans et de syndicalistes. "Une entreprise de ciment helvétique ne peut pas se montrer respectueuse de l'environnement en Suisse et polluer sans vergogne au Nigeria", résume la présidente du Parti évangélique, la Bernoise Marianne Streiff. Mais si, elle peut, l'entreprise suisse, être propre en Suisse et dégueulasse en Afrique... Et c'est pour qu'elle ne le puisse pas que l'initiative a été lancée, et qu'il faut la voter. Elle, et pas  le contre-projet indirect concocté par le parlement fédéral, et soutenu par les adversaires de l'initiative (notamment le Groupement des entreprises multinationales, les syndicats patronaux romands, la Migros, la Coop, Manor), qui entrerait en vigueur, sans même avoir besoin d'être voté par le peuple : il ne rendrait pas les entreprises civilement responsables des actes des entreprises qu'elles contrôlent à l'étranger., ne leur impose que de pondre un rapport annuel sur leur respect des droits humains et environnementaux (gageons que ce rapport assurera, forcément, qu'elles les respectent) et limite le devoir de "vigilance", c'est-à-dire l'obligation d'agir, à la question du travail des enfants et de l'extraction de minerai dans les zones en conflit.

Si le parlement fédéral a choisi le contre-projet minimal du Conseil des Etats plutôt que celui, plus ambitieux, du Conseil national, c'est du fait du groupe PDC qui, se rangeant du côté d'Economiesuisse, de SwissHolding et du PLR, a désavoué ses propres experts, en particulier sa propre commission de l'économie, engagée sur le contre-projet du Conseil national. Le groupe PDC toutefois n'est pas tout le PDC : sa section cantonale genevoise soutient l'initiative, comme un tiers de l'Assemblée des délégués du parti , les Jeunes PDC et des figures démocrates-chrétiennes, à l'instar d'Anne Seydoux-Christ ou de Dominique de Buman, pour qui "la question des valeurs est centrale". C'est sans doute cette question-là qui fera clivage au moment du vote, entre le soutien à une initiative qui après tout ne propose que ce qui est déjà en vigueur au Canada, au Pays-Bas ou en France, et un contre-projet indirect, non soumis au vote, pour qui le mot de "valeur" ne renvoie pas à une éthique, mais seulement à des profits.



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