Les beaux zavions des vieux suisse-allemands
Quelque part entre le rivage des Syrtes et le désert des Tartares...
Quelque part entre le rivage des Syrtes et le
        désert des Tartares, un petit pays attend l'ennemi. Qui ne vient
        pas. Chez Gracq, désespéré de l'absence de l'ennemi, le héros,
        las de l'attendre, s'en va le provoquer pour provoquer la
        guerre. Chez Buzzati, le héros passe sa vie entière à attendre
        l'ennemi et meurt de cette attente quand l'ennemi enfin se
        montre. Ce petit pays, c'est le nôtre. Dont le peuple vient
        d'accepter, d'acheter pour six milliards des avions de combat
        plus modernes que ceux dont il dispose déjà -une décision prise
        à une majorité aussi étriquée que le besoin de tels avions : 50,1 % des suffrages pour l'achat,
          8670 voix d'écart entre les pour et les contre, une opposition
          majoritaire en Romandie (sauf en Valais), au Tessin et à Bâle,
          chez les femmes et chez les moins de 35 ans. Les beaux avions
          de l'armée suisse font surtout bander les vieux
          suisse-allemands... et le résultat du vote nous fait beaucoup
          regretter de n'avoir pu convaincre 8671 personnes d'aller
          voter pour nous rejoindre dans notre opposition à un viagra à
          six milliards...
        
      Ce qui vaut la
            peine d'être défendu : pas un espace ou planter un drapeau,
            mais une population 
On pourra gloser longtemps sur le choix tactique
        du PSS de combattre l'achat de nouveaux avions de combat en
        développant un argumentaire fondé sur leur coût, au lieu que sur
        leur utilité -et celle de l'armée. Fallait-il choisir cet angle
        d'attaque pour rallier au front de l'opposition de gauche une
        partie du centre et de la droite, plus sensibles à un discours
        comptable qu'à un discours antimilitariste ? Certes, les 49,9 %
        d'opposants représentent bien plus que le seul électorat de
        gauche, mais nous attendions du Parti socialiste un discours
        plus socialiste que celui de la critique du coût de l'achat et
        du type d'avion à acheter : une critique de la décision même
        d'en acheter. Car si on tient compte des
        menaces plausibles. la Suisse n'a pas besoin d'une aviation de
        chasse mais d'une défense sol-air et de drones. L'achat de
        nouveaux avions de combat ne répond à aucune de ces menaces
        plausibles (le terrorisme, le échauffement climatique, les
        pandémies). Et la police de l'air (les 350 interventions
        annuelles de l'aviation de chasse actuelle consistent en un
        accompagnement d'avions civils) n'a pas besoin d'avions
        ultra-modernes et ultra-performants pour combattre d'autres
        avions ultra-modernes et ultra-performants. Mais beaucoup plus
        nombreux. 
      
Donc, la Suisse va acheter de nouveaux avions de
        combat. Combien ? on ne sait pas. Lesquels ? on ne sait pas non
        plus. C'est le Conseil fédéral qui choisira les avions que la
        moitié du peuple l'a autorisé à acheter, et qui devraient
        commencer à être livrés dans dix ans, mais il le fera sous
        surveillance des opposants à cet achat : un sondage Tamedia
        donne une majorité d'opposants à l'achat d'un avion américain
        (une hypothèse qui ne séduit que 4 % des sondés). Or deux des
        quatre avions en lice sont américains. Et la gauche est du même
        avis : elle ne voulait pas de cet achat, mais puisqu'il a été
        décidé, autant que soit celui d'avions européens. Comme le
        Rafale français ou le Typhoon allemand. Dans la Welwoche, un
        hebdo udéciste, l'ancienne présidente socialiste de la
        Confédération, Micheline Calmy-Rey, qui considère que "le peuple
        ne devrait pas laisser le choix de l'avion au Conseil fédéral",
        rappelle que choisir un avion, c'est choisir un pays, un Etat,
        avec lequel pendant toute la durée d'usage de l'avion qu'il a
        acheté l'acheteur sera en rapport objectif d'alliance : le choix
        de l'avion de combat de l'armée suisse, c'est le choix de l'Etat
        avec lequel la Suisse va étroitement contribuer non seulement à
        la surveillance de son propre espace aérien, mais aussi à celui
        de l'Europe. De l'Etat qui va former les pilotes suisses à
        l'utilisation de l'avion qui aura été acheté. De l'Etat qui
        recevra les informations transmises par les systèmes embarqués
        dans l'avion suisse. Le choix du nouvel avion sera donc un choix
        politique, au moins autant que technique et financier. Et les
        avionneurs le savent : leur lobbying va prendre son envol, et il
        sera intensif. Celui de Saab avant le vote sur l'achat des
        "Gripen" avait été tel qu'il avait largement contribué à ce que
        le peuple refuse cet achat. Le Conseil fédéral, et la
        Conseillère fédérale Amherd, ont été cette fois plus habile :
        les avionneurs se sont tenus cois pendant la campagne. De leur
        point de vue,ils ont bien fait, leur intérêt était que le peuple
        se prononce en faveur de l'achat de n'importe quel avion, avant
        que de convaincre le gouvernement que le leur était meilleur que
        les autres. 
      
Dans notre camp, une nouvelle initiative
        populaire est envisagée par le Groupe pour une Suisse sans
        armée, pour permettre au peuple de se prononcer sur un projet
        précis d'achat de nouveaux avions de combat, comportant le type
        et le nombre d'avions. Mais le vote de dimanche a relancé un
        autre débat, bien plus fondamental : celui du maintien ou non
        par la Suisse d'une armée. Si le vote de dimanche était un "vote
        de confiance" de la Suisse à son armée (de l'air, de terre et de
        lac), on ne pourra que constater que cette confiance est érodée.
        Et dans ce débat sur l'existence ou non d'une armée suisse, la
        question n'est évidemment plus de savoir quels avions on doit
        acheter, et combien on doit en acheter : elle est de savoir si
        une armée suisse est encore un instrument de défense crédible de
        ce qui vaut la peine d'être défendu : pas un espace ou planter
        un drapeau, mais une population, ses droits et ses libertés. 
      



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