Covider les lieux culturels
Un nouveau semi-confinement qui ne dit pas son nom
Face à la pandémie qui a repris de la vigueur ("La dégradation de la situation est
spectaculaire" a annoncé le 28 octobre Alain Berset. ),
la Suisse , qui compte désormais, en pourcentage de la
population plus de contaminés (762 cas pour 100'000 habitants,
8600 nouvelles infections pour la seule journée du 28 octobre),
plus de malades en soins intensifs et plus de morts (24
mercredi), reconfine sans vraiment reconfiner tout en
reconfinant un peu, en annonçant que si ça ne stoppe pas la
progression de la covid, on ira encore plus loin dans les
mesures de restrictions des libertés personnelles et
collectives, et que déjà, s'ils le veulent, les cantons peuvent
eux-mêmes aller plus loin. Le président de la Fédération des
entreprises romandes, Ivan Slatkine "salue ces mesures
pondérées", et le président d'EconomieSuisse, Christoph
Mäder soupire (d'aise) : "pour l'économie, c'est
supportable". Et pour la culture ? La quoi ? D'ores
et déjà, la jauge des spectacles culturels est plafonnée à 50
spectateurs. Comme les cultes et les messes (la pandémie ramène
le cultuel ou culturel...). Une jauge impossible à tenir
financièrement pour les moyennes et grandes institutions (comme
à Genève, le Grand Théâtre, le Théâtre de Carouge, le
Forum-Meyrin, bientôt la Nouvelle Comédie...). Commentaire du
magistrat en charge de la culture en Ville de Genève : Sami Kanaan : "Coup de massue pour la
culture! Le Conseil fédéral décide de faire porter aux acteurs
culturels (théâtres, opéras, cinémas, festivals, etc.) la
responsabilité de fermer ou annuler lorsque la jauge maximale
de 50 personnes n’est pas tenable économiquement, afin
d’éviter de devoir verser les indemnités fédérales. Cynique et
choquant!". Et, de plus, absurde, arbitraire et injuste : les milieux
culturels, théâtres, opéras, musées, bibliothèques, cinémas,
sont ceux qui ont le plus scrupuleusement observé les
prescriptions sanitaires : "il n'y a pas de cluster dans les
théâtres", rappelle le directeur du Théâtre de Carouge, Jean
Liermier : comme les lieux de concerts et les cinémas, ils
arrivaient à fonctionner en respectant les mesures de
précaution sanitaires (masques, distances, gel
hydroalcoolique), des places
numérotées et une jauge adaptée à la capacité de la salle.
Ils n'y arriveront pas avec une jauge plafonnée à 50
spectateurs dans des salles qui peuvent en accueillir
cinq, dix ou vingt fois plus.
Les bordels restent ouvert : ce
sont les théâtres, les cinémas, les lieux de concerts qui
seront des maisons closes.
Premier à se mettre en sommeil, à l'image des
concerts, le secteur culturel sera certainement le dernier à
s'éveiller. "La santé et
l'économie ne s'opposent pas", proclame le ministre de la
deuxième, Guy Parmelin. Ce serait vrai, si on considérait
toute l'économie, y compris le secteur culturel, privé ou
public : Il pesait 2,1 % du PIB national en 2018, 7 % de
celui des principales villes, 9 % de celui du canton de
Genève, ou il est la deuxième branche économique. La valeur
ajoutée de l'"économie culturelle" atteignait 15,2 milliards
de francs. Le seul secteur de l'audiovisuel fait revenir
dans l'économie globale trois fois plus que ce que les
collectivités publiques y investissent, et entre
2011 et 2014, le nombre d'emplois liés à la culture s'est
accru de 2,9 % à Genève, alors que pour l'ensemble des
secteurs il ne s'accroissait que de 1,6 %.
Autrement dit : même d'un point de vue strictement
économique quantitatif (quoique ce ne soit qu'un point de
vue borgne, utilitariste, et donc fort éloigné de prendre en
compte la valeur spécifique, qualitative, de la création
culturelle), et plus encore d'un point de vue social,
paralyser ce secteur est une absurdité. A moins qu'il
s'agisse d'un calcul assez sordide : "Au moins, dans les autres pays, on a le courage
d'être clair, on ferme les salles", assène le producteur de
concerts Michael Drieberg. Qui diagnostique : "laisser une jauge
impossible (de 50 places) en termes de rentabilité, c'est juste
une façon de limiter les aides financières". Le président de la Fédération romande
des arts de la scène, Jean Liermier peut toujours faire
semblant d'espérer que cette jauge maximale de 50 spectateurs
"n'est pas une entourloupe des autorités pour refuser de nous
aider, en prétextant que nos salles peuvent toujours rester
ouvertes", il se murmure dans les salles des pas perdus que le
Conseiller fédéral Alain Berset s'est retrouvé bien seul à
refuser de refiler la patate chaude, et coûteuse, aux cantons
et aux communes, et à s'opposer à une mesure qui
vide à 80, 90 ou 95 % les espaces culturels... mais
laisse les centres commerciaux grands ouverts, et les artistes
et créateurs culturels dont le travail suppose une
représentation devant un public se retrouvent de plus en plus
précarisés, ubérisés.
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