Initiative pour des multinationales responsables de leurs actes : Fiat Lux !
Le deuxième sondage Tamedia sur les intentions de vote lors du scrutin du 29 novembre donne toujours une nette majorité en faveur de l'initiative pour des "multinationales responsables" (de leurs actes), avec 57 % d'intentions de la soutenir, et près ou plus de 65 % de soutien chez les femmes, les moins de 35 ans et les habitants et habitantes des villes. La gauche soutient massivement ce texte, la droite le rejette clairement, le centre est indécis (44 % de "oui" au PDC). Du coup, fort inquiets, les opposants à l'initiative tentent tout ce qu'ils peuvent pour rendre le débat confus et le verdict incertain. Il reste trois semaines pour dissiper ces ombres: Fiat Lux !
Se rendre complices de ce qui est
condamnable, mais dont on refuse de rendre la condamnation
possible ?
"Le Courrier" d'hier note qu'un site créé par des
opposants à l'initiative (le comité "Non à l'initiative
multinationales" issu des milieux de l'"économie"),
et sans doute tenu par l'agence de communication Furrerhugi
(celle de la multinationale Glencore, qui sévit en Amérique
latine), fait passer des opinions partisanes (celles des
opposants à l'initiative) pour des "faits", et une argumentation
unilatérale pour, selon le Conseiller national PLR Philippe
Nanternod, développer une "argumentation honnête, sincère,
factuelle" -en fait, l'argumentation d'une structure patronale
absente du débat sur l'initiative, "succèSuisse". Le site
"en-fait.ch" farcit de publicités les articles rédactionnels des
publications internet des journaux de Tamedia, en prenant bien
soin qu'on distingue le moins bien possible cette pub de ces
articles. Histoire de brouiller un peu les cartes, notamment
quand il s'agit de savoir combien de PME sont concernées par les
dispositions de l'initiative : quelques centaines, selon les
initiants, "très peu" selon le directeur de l'USAM (le syndicat
patronat des PME), laquelle pourtant combat l'initiative,
seulement celles qui sont actives dans des secteurs à hauts
risques, comme ceux liés à l'extraction et la transformation de
matières premières.
De toute façon, l'initiative ne portera réellement d'effets qu'une fois sa loi d'application votée par le parlement (et le cas échéant par le peuple). Or le parlement est à nette majorité de droite, et on le voit assez mal basculer dans le camp du tiers-mondisme militant. Car c'est bien le parlement qui, dans la loi d'application, va définir les critères qui vont soumettre ou non une entreprise aux dispositions de l'initiative : il va falloir définir des seuils (de nombre d'employés, de chiffre d'affaire, de bénéfices, de participations dans le capital d'autres entreprises) en dessous desquels une entreprise ne serait pas concernée. La commission du Conseil national propose ainsi de considérer comme une PME toute entreprise de moins de 500 salariés : c'est le cas de l'écrasante majorité des entreprises de tout le pays, et moins de 700 entreprises se situent au-delà de ce seuil... Le Conseiller national PDC Vincent Maître (du camp démo-chrétien opposé au texte) considère que "cette initiative imprécise ne pourra pas s'appliquer avant des années". Pourquoi alors sonner le tocsin pour conjurer la possibilité qu'elle soit acceptée, si elle n'aura aucun effet tant qu'une loi d'application n'aura pas été acceptée par un parlement où les adversaires de l'initiative sont majoritaires ?
Autre argument foireux des opposants :
l'initiative irait tellement loin dans l'exigence de rendre les
multinationales responsables de leurs actes que la Suisse serait
une exception dans le monde (ce qui est faux, puisque d'autres
pays imposent déjà ce que l'initiative propose), et que les
tribunaux suisses seraient engorgés par des plaintes déposées
par les victimes étrangères de pratiques à l'étranger
d'entreprises suisses., Comme si les violations de droit
fondamentaux par des entreprises suisses (ou leurs filiales) ne
pouvaient être traités en Suisse. Comme si au XXIe siècle on en
restait à un principe de territorialité du droit, et de la
justice, tel qu'était la norme au XIXe siècle : depuis, des
droits fondamentaux ont été proclamés comme des normes de droit
universelles, applicables, défendables, opposables partout dans
le monde, même hors des territoires où elles sont violées. Le
"passeport" suisse d'une entreprise n'est pas un certificat
d'impunité. Or certaines
multinationales suisses se rendent coupables, hors de Suisse,
de pratiques qui les conduiraient devant un tribunal si elles
s'en rendaient coupables en Suisse.Mais elles s'en rendent
coupables ailleurs, en jouant de leurs filiales, de leurs
sous-traitants, de la faiblesse des pouvoirs publics et de la
corruption dans les pays où elles sévissent. Ne pas donner à
leurs victimes la possibilité de se défendre devant les
tribunaux suisses, c'est se rendre complices de pratiques et
d'actes criminels au regard du droit suisse et du droit
international. Et aucune cour internationale n'existe, qui
pourrait juger ces actes. Il n'y a même encore aucun traité
international de protection des droits des gens face aux
multinationales quand il y en a en revanche des centaines,
peut-être des milliers, pour garantir les investissements, les
profits, les activités des multinationales. Elles peuvent
traîner des Etats, des régions, des villes devant des cours
d'arbitrage -mais les habitants de la ville péruvienne de
Cerro de Paco, empoisonnés par les métaux lourds répandus par
une mine exploitée par une société contrôlée par la
multinationale suisse Glencore, ne peuvent rien contre cette
multinationale. C'est à cette injustice qu'il convient,
urgemment, de mettre fin -ce que seule l'initiative rend
possible, le contre-projet du Conseil ne proposant qu'un
simulacre, la remise périodique de jolis rapports
autojustificateurs par les entreprises.
Avec l'initiative, nous n'en serons pas encore à
l'exigence posée par Jean Ziegler, que "les prédateurs
économiques" soient "jugés pour crime contre l'humanité". On
n'en est qu'à cette autre exigence, minimale, que comme les
personnes, les entreprises soient tenues pour responsables de
leurs actes, même quand ils ne sont pas commis sous nos yeux.
Refuser cette évidence, n'est-ce pas se rendre complice de ce
qui est condamnable, mais dont on refuse de rendre la
condamnation possible ?
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