La culture indépendante sinistrée par la pandémie
Résister au (co)vide cuturel
Lieux de création, de représentation, d'exposition, de concerts fermés, tournées annulées, festivals suspendus, artistes indépendants privés de revenus et sans possibilité de toucher le chômage partiel ni les allocations pour perte de gains : le secteur culturel, qui pèse 5 % du PIB suisse, 7 % de celui des centres urbain et autour de 10 % de celui d'un canton comme Genève, a sans doute été le plus touché par les mesures de lutte contre la coronapandémie -plus touchés encore que que ceux de l'hôtellerie et de la restauration, et du petit commerce. Et au sein de ce secteur, si les grandes institutions ont les reins assez solides pour passer cette sale période, et des subventions assurées par les collectivités publiques, les petits acteurs culturels, et plus encore les créateurs indépendants, se retrouvent les plus durement précarisés. Ce n'est pas que les aides fédérales, cantonales, municipales aient été inexistantes -c'est qu'elles n'ont pas atteint ceux qui en avaient le plus besoin. Et que parfois, il ne s'agit que de prêts, ou d'aide accordées comme des dons avant qu'on en demande le remboursement, comme Suisseculture sociale l'a fait pour 104 des 1903 aides qu'elle avait accordée entre mars et septembre (dont la moitié à des musiciens).
      
              "La culture n'est pas un gadget mais une nourriture à part
              entière" 
A Genève, 15,4 millions d'aide fédérale ont déjà
        été attribués à 400 entités culturelles (la majorité, 58 %, aux
        arts de la scène, 18 % au cinéma, 17 % aux artistes et aux
        festivals, 8 % à tout le reste (musées, arts visuels,
        littérature, design). Mais les éditeurs, les plasticiens, les
        galeristes, étaient exclus de ce premier train de mesures
        fédérales. Un deuxième train, décidé en octobre , va laisser aux
        cantons une marge de manœuvre un peu plus importante, mais pour
        moins de ressources à accorder : pour Genève, ce sera 22
        millions pour 2021, contre 35,8 millions en 2020. Et la moitié
        de l'aide cantonale sera prise sur le budget 2021 du canton. La
        Ville, les autres communes (via l'association des communes
        genevoises) , la loterie romande et le canton se coordonnent
        dans une "task force" pour accorder des soutiens concrets,
        financiers ou non. C'est une excellente chose, d'ailleurs
        indispensable, mais c'est une réponse à une urgence, pas une
        action à long terme. Or la situation de précarité d'une grande
        partie des acteurs culturels ne date pas de la pandémie, et
        d'entre celles qui reçoivent de (modestes) subventions, la
        plupart doivent se contenter d'un soutien qui n'a pas évolué
        depuis parfois une dizaine d'années alors que le coût de ce qui
        leur est nécessaire pour œuvrer n'a cessé, lui, d'augmenter. 
      
C'est là que les débats budgétaires cantonaux et
        municipaux sont d'importance, parce que c'est de ce que ces
        débats  accoucheront,
        en commissions ou en séances plénières, que dépend le sort de
        ces acteurs culturels fragiles. Par exemple, à Genève, le
        secteur des musiques de création. L'inventivité déployée dans
        ces secteurs, notamment dans l'usage des outils internet, n'a pu
        compenser la disparition des occasions de se produire devant un
        public physiquement présent, et les lourdes pertes (jusqu'à la
        totalité) de revenus subies par les musiciens non salariés, ne
        recevant que des cachets, pour un revenu souvent inférieur à ce
        qui serait nécessaire pour toucher des allocations pour perte de
        gains (on ne parle même pas du chômage partiel...). Ils n'ont
        pourtant pas cessé de travailler -ils ont "seulement" été dans
        l'impossibilité de produire leur travail devant un public (jouer
        sans public, "c'est un non sens", soupire le directeur du
        Théâtre de Carouge, Jean Liermier) , et d'être payés pour leur
        travail. Depuis la fermeture des salles,
                des centaines de comédiens et comédiennes, danseurs et
                danseuses, techniciens et techniciennes, musiciennes et
                musiciens, se retrouvent sans espaces de travail ni
                salaires. Le Conseil fédéral a annoncé la
            réintroduction du droit au chômage partiel – RHT – pour les
            personnes travaillant sous le régime d’un contrat à durée
            déterminée. Cette mesure, qui doit être soumise au
            parlement, était réclamée par tout le secteur culturel, les
            compagnies théâtrales indépendantes en particulier, mais
            elle ne concerne pas les artistes indépendants (musiciens,
            plasticiens, auteurs...). 
          
Dans GHI, Jean
            Liermier nous souhaite de "garder la foi dans une société où
            la culture n'est pas un gadget mais une nourriture à part
            entière". La foi, sans doute -mais elle ne suffit pas, et on
            ne distribue pas la culture, fût-elle une "nourriture à part
            entière", comme on distribue des colis de nourriture aux
            plus nécessiteux. A la culture, il faut des lieux, du temps,
            des créateurs, des interprètes. Tous ne sont pas, et de
            loin, salariés. Et quand les salles sont fermées, les
            représentations suspendues, les concerts interdits, et
            qu'aucune des compensations habituelles des pertes de
            revenus (les APG, les RHT) n'est possible pour des
            non-salariés, c'est bien aux collectivités publiques
            d'intervenir. C'est-à-dire d'accorder des ressources (et pas
            des prêts) à celles et ceux qui en ont le plus besoin.  Or
            le principal acteur public de la culture à Genève (la
            petite, la moyenne, la grande), c'est la Ville. 
          
On verra donc
            bien le mois prochain, lorsque le Conseil municipal adoptera
            son budget, quelle importance il accorde (ou non) au soutien
            à la culture indépendante et à ses acteurs et créateurs. Et
            du même coup, on pourra mesurer le degré de cohérence des
            discours et des actes (des votes) de la gauche, majoritaire
            au Conseil municipal...
           
    
      
      
          
          
        
    



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