USA, à la veille du 18 Brumaire...

 

Qui est le dindon de la farce ?

Nous sommes, aujourd'hui, dans le calendrier républicain, le 17 Brumaire. Naguère, ce fut la veille d'un coup d'Etat.  En France. Et aux USA ? Trump n'accepte pas sa défaite face à Biden et se proclame vainqueur, mais avec une participation bien plus importante (67 %) que lors des précédentes scrutins, le résultat final du vote pourra difficilement être délégitimé, même si on ne le connaîtra sans doute que le 8 décembre. En attendant quoi, on constate que les résultats par Etats ont reproduit en gros la carte traditionnelle des votes, sans la "vague bleue" qu'espéraient les Démocrates. Au final, si Biden a, comme c'était l'hypothèse la plus probable, vaincu, ce fut sans triomphe, et sans déroute pour Trump. Et si le candidat démocrate a rassemblé son camp, ce fut moins derrière lui que contre Trump, qui sans la pandémie aurait sans doute été nettement réélu . La campagne en demi-teinte, en quart de teinte, de Joe Biden ne fut pas à la hauteur des espérances de ses partisans, malgré l'entrée en scène de Barack Obama. L'"antitrumpisme" n'a donc pas suffi pour creuser un écart définitif en faveur du candidat démocrate, non plus que la mise en valeur de la stature "présidentielle" de Biden, par contraste avec Trump, dont Obama dit qu'il ne s'est "pas élevé à la hauteur de la fonction" présidentielle "parce qu'il ne le peut pas". Ce diagnostic, les partisans de Trump ne l'entendaient pas, ne pouvaient pas l'entendre, n'acceptaient pas de l'entendre...  pas plus qu'ils n'acceptent l'hypothèse même d'une défaite de leur prophète...

Le trumpisme survivra à Trump

"Pour la première fois de notre histoire, une élection va se transformer en référendum sur l'attachement de notre nation à la démocratie", annonçait l'ancienne procureure générale du Michigan Barbara McQuade. La démocratie à l'américaine, Trump et son gang l'ont réduite à un simulacre : c'est ainsi que le Sénat s'est retrouvé muselé et réduit à la servilité par sa majorité républicaine. Et les Etats, qui sont maîtres chez eux de l'organisation des scrutins fédéraux ont, quand ils sont aux mains des républicains, multiplié les entraves à l'exercice du droit de vote par les "classes dangereuses" : suppression de bureaux de vote, purges des listes électorales, empêchement du décompte anticipé des bulletins de vote par correspondance. A quoi s'ajoutent les tentatives d'intimidation des  électeurs par des groupes d'électeurs de Trump, armés et postés près des locaux de vote,comme en Arkansas. Couronnement de ce processus : le refus, de plus en plus explicite au fur et à mesure qu'on s'approchait du jour du vote, de Trump de garantir qu'il respectera le verdict des urnes, jusqu'à ce que hier il annonce carrément que s'il devait être battu, il demanderait à la Cour Suprême de le désigner tout de même comme élu. Parce qu'il lui est inconcevable de ne pas l'être, d'être battu par un Joe Biden.

Joe Biden ? Tout le contraire de Trump : un "type bien" qui pourra "réparer l'Amérique", pour son biographe français, Jean-Eric Branaa, qui rappelle que Biden est né dans un milieu défavorisé et s'est fait tout seul, à l'inverse de Trump, héritier de la fortune de son père. Biden est sans doute tout à fait acceptable pour les républicains traditionnels : c'est lui qui avait prononcé l'éloge funèbre de John McCain, l'adversaire républicain d'Obama, et il pourrait nommer des républicains dans son gouvernement. Même son âge a fini par être un atout, alors qu'au début de sa campagne il était un handicap (même si après tout, il n'a que quelques années de plus que Trump), une sorte de gage de sagesse. Et une sorte de promesse de transition : il serait président pendant quatre ans, avant de laisser, éventuellement, place à sa vice-présidente, Kamala Harris.

Car s'ils devaient finalement perdre cette élection présidentielle, les Démocrates ont le temps pour eux. Même non réélu, Trump peut encore sévir, et faire des dégâts. Mais l'évolution démographique, celle de la structure de la population, va dans le sens des démocrates, pas dans celui de la base électorale de Trump et de celle du parti républicain (ou de ce que le trumpisme a fait du parti républicain) : il y aura aux USA toujours plus de latinos, plus de cathos, plus de musulmans, et le poids, au moins quantitatif, des "wasp" (anglo-saxons blancs et protestants) continuera de s'allèger...

En quatre ans de présidence trumpienne, les USA se sont divisés (ils l'étaient déjà, mais pas au point où ils le sont aujourd'hui) entre démocrates et républicains, entre urbains et ruraux, entre les côtes et le centre du pays, entre "blancs" et "noirs", entre résidents et immigrants, entre cols blancs et cols bleus, entre croyants fondamentalistes et croyants "libéraux", athées et agnostiques (et on en passe, de ces divisions). En quatre ans, l'Union américaine pour les libertés civiques (ACLU) a intenté près de 400 procès (237 plaintes, 160 autres actions en justice) au gouvernement fédéral, parce que selon son directeur, "les attaques contre les libertés et les droits civiques n'ont jamais été aussi importantes dans l'histoire moderne des Etats-Unis". La majorité des plaintes concerne les droits des immigrants et le droit d'asile, les autres aux droits des homosexuels et des minorités "raciales". Toutes les actions de l'ACLU n'ont cependant pas été victorieuses : l'interdiction d'entrée aux USA de ressortissants de certains pays musulmans a été validée, après avoir été modifiée, comme l'interdiction des transgenres dans les forces armées. L'action de l'ACLU contre Trump et son gouvernement a dopé l'association : le nombre de ses membres a plus que quadruplé, pour atteindre 1,8 million de membres, le montant des donations dont elle a bénéficié a atteint 175 millions de dollars après l'élection de 2016, et le nombre de salariés de l'association est passé de 386 à 605 en quatre ans, dont 122 juristes...

Dans quelques jours, ou quelques semaines, Trump aura officiellement perdu l'élection présidentielle. Mais un "trumpisme" sans Trump est parfaitement concevable  : le "trumpisme" n'est pas un accident, il existe déjà en version européenne avec un Orban en Hongrie, un Kaczynski en Pologne, en version latino-américaine avec un Bolsonaro au Brésil. La spécialiste des Etats-Unis Maya Kandel estime qu'aux USA aussi "le trumpisme a un avenir indépendant de Trump, et (que) cet avenir est nationaliste, religieux et antilibéral", conforme à la base électorale de Trump, "blanche, rurale et non éduquée". Et imperméable à toute information qui remettrait en cause ses certitudes : "républicains et démocrates vivent dans des environnements informationnels si différents qu'ils n'ont plus guère de perception commune de la réalité" (60 % des républicains ont Fox News comme première, voire seule source d'information). Et puis, Trump a fait des petits et des disciples ailleurs qu'en Amérique : que seraient, que feraient, les Bolsonaro, Modi, Erdogan, s'il ne leur avait pas montré la voie ? Et que feront d'autres, tel Netanyahu, sans leur parrain ?  ils en chercheront un autre ? Et qui ? Poutine ? En tout cas, les voilà orphelins...

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