Consommer, on doit. Mais pas manifester.

 


Eteignoir social

Depuis lundi à 11 heures et deux minutes du matin les jours s'allongent. Pour six mois. Reste à savoir ce qu'on fait et fera, et de ce qu'on nous laissera faire, de ce temps d'un peu de lumière en sus. Samedi, l'avant-dernier jour de l'hiver, on a pu voir à Genève ce que les oubliés de la crise voulaient, et ce à quoi ils avaient à faire. Ces oubliés voulaient qu'on ne les oublie plus. Le Conseil d'Etat (c'est-à-dire, concrètement, sur place, la police) voulaient qu'ils rentrent dans le rang. Et l'oubli. Un millier de personnes s'étaient réunies sur la Plaine de Plainpalais pour entendre pendant deux heures les témoignages des Oubliés. Puis, une centaine d'entre elles s'étaient mises en marche pour tenter de défiler dans les rues, ce dont les organisateurs du rassemblement (la Communauté genevoise d'action syndicale) avaient sollicité en vain l'autorisation : que les Oubliés se rassemblent, soit. Mais qu'on les voie marcher dans les rues de la Ville, surtout pas ! Et autant de policiers robocopés que de manifestants furent déployés pour que la marche des seconds s'interrompe sur le Marché aux Puces. Là où on retrouvera en effet quelques libertés fondamentales. Et là où les Oubliés peuvent prendre conscience du destin auquel ils sont voués par ceux qui les veulent faire oublient -mais n'oublient pas l'"économie". Il paraît qu'on va pouvoir dans les jours qui viennent pouvoir commencer à se faire vacciner contre la Covid. Pour vacciner les gouvernants contre l'usage de l'éteignoir social, en revanche, on ne dispose pas de grand chose. Sinon, précisément, du droit de manifester. "Dans un esprit festif et combattif", avec ou sans "l'assentiment de nos chères autorités", selon les mots de l'invitation  du "Parti objectif de la Genève oubliée" (POGO) à manifester samedi dernier.

La pandémie nous contraint à porter un masque, pas un bâillon

"Du 21 décembre 2020 au 2 janvier 2021, tous (nos) supermarchés sont ouverts, les jours de vente, à partir de 7 heures" du matin, proclame fièrement la Coop sur deux pages de son journal. Alors, de quoi se plaindrait-on, hein, la Migros et toutes les autres chaînes en faisant certainement au moins autant que la Coop ? Samedi, on se pressait dans les Rues Basses de Genève pour consommer, moins sur la Plaine de Plainpalais pour entendre témoigner celles et ceux qui ont autre chose à faire que claquer le pognon qu'ils n'ont plus (s'ils en ont jamais eu) à claquer  : le personnel de la santé, du nettoyage, des pompes funèbres, de la vente, de l'hôtellerie et de la restauration et du travail domestique, les artistes indépendants, ou entendre ceux qui les défendent. Les syndicats ont dénoncé la "capitulation" des autorités devant "les milieux patronaux et la droite au prix de la santé de la population", et le président de la Communauté genevoise d'action syndicale, Davide de Filippo, s'est demandé à haute voix "combien de morts encore pour que des mesures sérieuses soient prises par les autorités cantonales et fédérales ?".

Les mesures prises pour lutter contre la coronapandémie mettent en évidence les inégalités sociales, en particulier celles du logement et du travail : être confiné en ville  à cinq dans un trois pièces sans balcon, ce n'est pas la même chose (et ce n'est pas le même risque de contamination) que l'être à deux dans une dans une villa à la campagne. L'écrivaine Brigitte Giraud rappellait fort justement dans "Le Monde" (du 10 mai) que "Restez chez vous" est une injonction qui n'a de sens que quand "chez-soi" il y a. Et  que cette injonction "fait mal quand (elle) désigne l'endroit du mal-être, et même du danger". Que peut signifie "restez chez-vous" pour une femme battue chez elle ? Le confinement révèle et renforce encore d'autres inégalités : le télétravail n'a pas de sens  quand on est nettoyeuse, aide-infirmière ou chauffeur de bus, l'"école à la maison" n'a pas de sens quand à la maison on n'a pas le matériel nécessaire, et o) quand il n'y a personne qui soit en mesure d'assister l'enfant. Et la pandémie a eu en, au Royaume-Uni ou aux USA, (mais aussi, par exemple, dans le département français de la Seine-Saint-Denis) les "minorités ethniques" comme victimes privilégiées car, expliquent deux épidémiologistes canadiens, Jay S. Kaufman et Joanna Merckx, "ce sont ces segments de la population qui conduisent les bus, qui font le ménage dans les hôpitaux et qui s'occupent des personnes âgées dans les maisons de retraite" -bref, qui exercent des métiers à risque de contamination et habitent dans des quartiers où la maladie se concentre. Enfin, les catégories sociales défavorisées sont plus menacées de faire partie de groupes à risque autres que celui de l'âge : le diabète et le surpoids, par exemple, qui entraînent une mortalité plus grande chez les patients atteints du covid, sont proportionnellement d'autant plus nombreux que les revenus sont bas.

Pourtant, rien n'est plus neutre qu'un virus. Ni plus neutre, ni moins malveillant. Il ne cherche à nuire, à personne, le virus. Il ne cherche qu'à se reproduire. A se répliquer. Ce n'est pas lui qui est en cause ici, ce sont les réponse qu'on donne à sa propagation. Et l'usage qu'on en fait (voire les profits qu'on en tire, à l'instar des GAFAM, de Zoom, de Netflix, des pharmas).  Car si indifférente à tout que soit la Covid, elle est utile. Ne serait-ce que parce qu'elle fait régner l'ordre. Et donc, l'ordre règne. Et on regrette le désordre, les manifs,  les séances bordéliques, les engueulades, les bistrots, les théâtres, les cinémas, les concerts...

C'est pourtant un masque que la pandémie nous contraint à porter, pas un bâillon.



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