L'initiative antiburqa soumise au vote le 7 mars prochain

 

Gesticulation

En pleine coronapandémie, le Conseil national avait trouvé le temps de débattre de l'initiative populaire crypto-udéciste  proposant l'interdiction de la dissimulation du visage sur la voie publique (dite initiative "antiburqa", puisqu'en réalité c'est bien de l'interdiction de cette seule dissimulation-là, l'islamiste, dont il s'agit), et avait par 114 voix contre 76 (UDC et une partie du PDC) appelé à la refuser, sans lui opposer un contre-projet direct. L'initiative sera donc soumise au peuple le 7 mars prochain. Le Conseil fédéral lui est également opposé, au nom du fédéralisme : elle empiète en effet sur une compétence cantonale alors que nombre de cantons se sont déjà prononcés sur des propositions du même genre que celle proposée par l'initiative : l'interdiction de la dissimulation du visage sur la voie publique (ce qui implique l'interdiction de la burqa et du niqab, des masques et cagoules, mais pas celle du hidjab), avec suffisamment d'exceptions possibles (sanitaires, motocyclistes, carnavalesques ou climatiques) pour que cette interdiction ne soit qu'un voeu pie, et se résume en celle de la dissimulation du visage des femmes sous prétexte religieux (elle serait d'ailleurs levée pour les lieux de culte...). Et encore : on voit mal (en fait, on ne voit pas du tout...) la police genevoise, bernoise ou tessinoise interpeller sur les quais ou dans les rues les épouses eniqabées des nababs du Golfe, de diplomates ou de hauts fonctionnaires internationaux).  La loi d'application (l'initiative est constitutionnelle, et donc inapplicable sans loi d'application) pourvoira sans doute à parfaire l'impuissance du texte soumis au vote, en soustrayant touristes et épouses de détenteurs de passeports diplomatiques à ses dispositions. Une initiative peut être porteuse d'un projet. Celle-là n'est qu'une gesticulation. Qui fera elle-même beaucoup gesticuler une fois le débat lancé avant le vote.

Jugeons donc le texte "pour ce qu'il est" : politicien, électoraliste, hypocrite et impuissant

Le Conseil fédéral, soutenu par le PS et le PDC, propose un contre-projet indirect à l'initiative udéciste : il instaurerait l'obligation de se montrer à visage découvert devant les autorités et renforcerait les dispositions du Code pénal sur la contrainte, afin de sanctionner ceux qui imposent aux femmes de se voiler -pour le Conseil fédéral, en effet, il ne faut pas punir les femmes qui portent le voile intégral, mais ceux qui les y contraignent. Ces dispositions seraient inscrites dans une loi, et non dans la Constitution, une loi étant immédiatement applicable (et sa violation punissable), contrairement à une disposition constitutionnelle, sans effet par elle-même. L'initiative udéciste exigeant une interdiction générale de la dissimulation du visage dans l'espace public, quoique de nombreuses exceptions soient déjà prévues par son texte même, le Conseil fédéral estime qu'elle va "beaucoup trop loin" et, s'agissant des pratiques dont les femmes sont victimes, rappelle que la violence domestique et l'inégalité salariale sont bien plus répandues que l'imposition d'un voilage intégral du visage. L'initiative, ajoute le gouvernement, "monte en épingle un phénomène marginal" et piétine l'autonomie cantonale alors qu'il conviendrait de continuer à laisser les cantons libres d'introduire ou non une interdiction du voilage à prétexte religieux : le Tessin et Saint-Gall l'ont d'ailleurs introduite (mais Glaris. Soleure, Bâle et Zurich s'y sont refusés), ce qui, du point de vue du Conseil fédéral, confirme l'inutilité d'imposer aux cantons une règle fédérale. En outre, on peut douter qu'une prescription vestimentaire ait sa place dans la Constitution : la loi y suffit. Elle est de toute façon indispensable à la mise en oeuvre de l'initiative.

Au sein du PS, deux lignes se confrontent : une ligne majoritaire (jusqu'à preuve du contraire), qui est la ligne officielle du parti, et qui refuse une initiative dont l'argumentaire est explicitement islamophobe et qui émane de l'extrême-droite : l'émetteur de la proposition pèse ici plus que la proposition elle-même, qui instrumentalise la cause des femmes  et aboutirait à punir surtout les victimes du sexisme islamiste, et non les coupables de ce sexisme. Face à cette ligne majoritaire, une ligne minoritaire en dénonce les concessions faites au nom du "respect des différences" à un intégrisme religieux profondément misogyne. Certes, l'initiative "anti-burqa" émane de l'extrême-droite, mais, résumait quand il était encore Conseiller d'Etat vaudois le président de l'Union Syndicale Suisse, Pierre-Yves Maillard, "la lutte contre la xénophobie ne doit pas nous exonérer de la lutte contre le fanatisme" (religieux, en l'occurrence). Et le Conseiller communal lausannois Benoît Gaillard de préciser qu' à moins d'une interdiction légale (de la burqa) qui rendrait l'initiative udéciste sans objet, "les socialistes devraient soutenir l'initiative" en la jugeant pour ce qu'elle propose, sans prendre en compte "les intentions derrière", ni ses auteurs (un comité proche de l'UDC, pas plus soucieux des droits des femmes que ne le sont les intégristes islamistes). Il a parfaitement raison, notre camarade : ce qui est soumis au vote, c'est un texte, pas les motivations de ceux qui l'ont pondu.

Fort bien, jugeons donc le texte "pour ce qu'il est" : politicien et électoraliste (l'initiative a été lancée avant les élections fédérales), gesticulatoire, hypocrite et impuissant, et ne méritant  certainement ni de faire cadeau d'un "oui" à l'UDC ni de faire cadeau d'un  "non" avec les salafistes.  Le dilemme serait cornélien s'il était sans issue... L'issue, c'est celle de la question centrale posée, non par l'initiative, mais par le débat qu'elle devrait susciter : la question de la liberté. Ce qui doit être proscrit, réprimé, puni, c'est la contrainte à porter le voile, et ceux qu'il importe de combattre, ce sont ceux (et parfois celles) qui imposent le port du voile intégral à des femmes qui n'en veulent pas, pas ces femmes quand elles le portent contre leur gré . Quant à celles qui choisissent, aussi librement qu'elles en sont capables, de s'empaqueter dans une burqa ou un niqab, celles-là ne sont victimes que d'elles-mêmes.

Il est toujours bon de lire les textes qu'on s'apprête à soutenir ou à combattre, ça évite de les soutenir ou de les combattre pour ce qu'ils ne sont pas... ce qui serait, pour le coup, assez extravagamment con -quoique finalement assez commun... L'initiative crypto-udéciste propose essentiellement de punir les femmes victimes de la haine ou de la peur intégristes des femmes ? Ce sont les coupables qu'il faut punir, pas les victimes. Et nous ne sommes pas (encore) sénile au point d'ajouter la moindre foi à l'hypothèse bouffonne d'un comité d'initiative motivé par un engagement féministe : il est aussi étranger à un tel engagement qu'il le fut à un engagement en faveur de la laïcité lorsqu'il lança l'initiative pour l'interdiction des minarets. Son nouveau placet sort de la même soue que le précédent : la droite de la droite xénophobe et islamophobe (au sens étymologique du terme). Elle a les croisades qu'elle peut, et celle-là est sans grand risque :  l'initiative demande de punir les femmes qui portent une burqa ou un niqab. Elle ne contraindra nullement ceux qui les y obligent à cesser de les y obliger : eux ne risquent rien, quoiqu'elle ait pris la précaution de suggérer,  ...

On se gardera  bien de sonner le tocsin en prédisant une catastrophe si l'initiative devait, comme il est probable, être acceptée : le serait-elle qu'elle n'aurait aucun effet concret, sinon, peut-être, celui de faire coller de temps en temps une contravention à la malheureuse domestique d'une touriste friquée du Golfe ou d'un diplomate iranien. Ou d'une ex-catholique convertie à l'islam et n'attendant rien d'autre par l'exhibition de son empaquetage volontaire qu'une reconnaissance publique de son propre intégrisme à religion variable. Et encore : il faudra que la loi d'application  permette de sanctionner l'une ou l'autre de ses cibles, ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas. La disposition constitutionnelle resterait ainsi dans la Constitution comme une sorte de sacrifice rhétorique, un peu comme l'exergue de cette même constitution -le même que celui de la constitution de la République islamique d'Iran : "Au nom de Dieu"... 

Pour dire les choses plus clairement encore : voter "oui", c'est pisser dans un violon. Exercice que seul le besoin irrépressible d'une miction pourrait éventuellement justifier, mais qui peut, aussi, sans problème devenir une pratique politique majoritaire.


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