Accord de libre-échange de l'AELE avec l'Indonésie : Libre échange inégal
Le 7 mars, le peuple suisse se prononcera sur un accord de libre-échange entre l'AELE (dont la Suisse est membre) et l'Indonésie, attaqué par référendum populaire au nom du commerce équitable, du respect des ressources naturelles et de la solidarité avec les producteurs indonésiens de produits exportés en Suisse.. Porte-parole des référendaires, le vigneron genevois Willy Cretigny explique que le principe même du libre-échange est à combattre et que favoriser la venue de produits qui viennent de loin est "mauvais pour l'environnement, augmente le transport de marchandises et met les écosystèmes locaux sous pression" : "à 'heure où l'on parle d'économie circulaire, de recyclage des déchets, cette fuite en avant entraîne notre perte". Le référendum est lancé contre un accord qui a été soutenu aux Chambres fédérales par le PS (et, sauf erreur, les Verts). Des ONG comme Public Eye, le WWF, ou la Fédération romande des consommateurs ont refusé de soutenir le référendum, qu'ont soutenu en revanche la Jeunesse Socialiste, les Jeunes Verts et la Grève pour le Climat. Qui (comme nous, ici) appellent à refuser un accord de "libre-échange" en quoi se résument tous les termes de l'échange inégal entre une économie du centre et une économie de la périphérie
"Un schéma de consommation et de production non viable"
D'Indonésie, la
Suisse importe surtout des chaussures, des vêtements et des
métaux précieux (la plus grande mine d'or au monde, celle
de Grasberg, est sur territoire indonésien, en
Nouvelle-Guinée), et y exporte surtout des machines, des
produits pharmaceutiques et des produits chimiques, mais on
va plus parler d'huile de palme que de chaussures ou de métaux
précieux, dans un débat qui pourra peut-être, difficilement,
avant le vote du 7 mars, se frayer un chemin entre les échanges
à propos de la burqa (et, à Genève, d'un parking et d'un
Conseiller d'Etat démissionnaire). Pourtant, l'importation en
Suisse d'huile de palme indonésienne n'est pas l'enjeu principal
de l'accord sur lequel (contre lequel...) on votera. Elle ne
représentait que 0.004 % de la valeur des importations suisses
en provenance d'Indonésie en 2019 , mais elle est comme une sorte de résumé des
conséquences possibles, ici et là-bas, d'une "libre
circulation" des marchandises entre deux pays, deux espaces
économiques, entre lesquels il n'est évidemment pas question
de libre circulation des personnes.
"Le coût des biens doit être en lien avec le coût
local du travail pour enrayer la surconsommation et le tout
jetable", résume Willy Cretigny. Un accord de libre-échange
comme celui proposé avec l'Indonésie va de toute évidence à
l'encontre d'un tel objectif. Et les grandes perdantes d'un tel
accord seront les populations locales indonésiennes, qui doivent
abandonner leurs cultures traditionnelles de subsistance, comme
le riz, au profit de celle de la matière première de 'huile de
palme, ou abandonner leur agriculture vivrière pour aller
produire en usines ou en ateliers des chaussures ou des
vêtements. La sécurité alimentaire de ces populations en
souffre : elles doivent désormais acheter les aliments de base
qu'elles produisaient et ne produisent plus. La production
d'huile de palme indonésienne se fait en outre au prix de
multiples violations des droits fondamentaux des travailleurs
qui y sont affectés: exposition à des produits chimiques
dangereux, salaires inférieurs au salaire minimum, absence de
congés maternité, répression des syndicats indépendants et,
selon l'OIT, 1 million et demi d'enfants et d'adolescents de 10
à 17 ans travaillent dans les champs de palme... c'est à ce prix
que les plantations peuvent fournir Nestlé (entre autres) en
huile de palme... Et les conditions de production des autres
biens exportés vers la Suisse ne sont guère plus reluisantes.
"La cause principale de la
dégradation continue de l'environnement mondial est un schéma
de consommation et de production non viable, notamment dans
les pays industrialisés, qui est extrêmement préoccupant dans
la mesure où il aggrave la pauvreté et les déséquilibres" :
ainsi s'exprimait en 1992 la déclaration finale du "Sommet de
la Terre", à Rio de Janeiro. Trente ans plus tard, on n'est
toujours pas sorti du "schéma de consommation et de production
non viable", et le "développement durable", auquel se réfère,
avec une crédibilité contestable, le projet de traité de
libre-échange avec l'Indonésie, apparaît pour ce qu'il est :
une tentative de sauvegarder l'essentiel de ce "schéma", d'en
pérenniser les "lois" fondamentales -à commencer par celles du
profit et de la mise au travail, dans des conditions
inadmissibles, de populations de la périphérie pour que soit
exporté au centre le produit de leur travail, à un prix rendu le plus bas possible ici
par l'irrespect systématique des droits les plus élémentaires
des travailleurs de là-bas. Protéger ces droits, c'est notre
"protectionnisme" à nous. Un "protectionnisme
internationaliste", en somme...
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