Soutenir ceux que la Confédération laisse tomber : L'unanimité, vraiment ?

 

Le groupe socialiste a fait accepter par le Conseil municipal de Genève une résolution appelant au soutien de ceux que la Confédération laisse tomber, ou ne soutient qu'insuffisamment. Le traitement en urgence de ce texte avait été accepté à l'unanimité du parlement de la Ville. On en est un peu désorienté. Un peu, seulement. Parce que ce qui qualifie une proposition politique, c'est aussi son caractère distinctif, sa différence, et qu'une proposition acceptée à l'unanimité pourrait, à quelques esprit chagrins, passer pour un truisme, une évidence, un lieu commun. Sauf que cette unanimité peut être factice, résignée, ou opportuniste. Qu'une proposition peut n'être soutenue que parce qu'on ne pense pas pouvoir la combattre, lors même qu'on aimerait bien le faire, ou qu'elle ne mérite pas d'être combattue Et qu'il revient alors à ceux qui la font de la défendre pour ce qui la distingue. Demander, comme nous le faisons, que le Conseil fédéral "développe rapidement et massivement les aides nécessaires aux secteurs les plus fragilisés par la crise (...) et établisse les procédures les plus simples possibles pour l’obtention de ces aides", que la Ville de Genève soutienne "les demandes faites, de toutes parts, à la Banque nationale pour qu’elle redistribue aux cantons une part plus importante, compte tenu de leurs besoins, de ses bénéfices" et que le canton "redistribue une part suffisante de cette aide aux communes, et en particulier aux villes", est-ce aller assez loin, quand en une sorte de Pentecôte avant terme, des langues de feu keynésiennes semble avoir converti presque toute la droite aux vertus d'une relance par l'Etat ?

Miracle ou malédiction de la pandémie, elle tire la droite à gauche

Aurions-nous annoncé il y a deux ans que des conseillers nationaux PLR plaideraient pour que qu'une partie des réserves et des bénéfices  de la BNS puissent servir à une politique de relance économique et qu'une conseillère d'Etat PLR allait faire l'éloge de la dette comme investissement en temps de crise, on nous aurait ipso facto empaquetés dans une camisole de force et conduit dans les sous-sol de Belle-Idée, là où a été remisé  le dernier appareillage utilisable pour des électrochocs... Et pourtant, on n'aurait été que bons prophètes en notre pays : presque toute la droite suisse et genevoise, de Christian Lüscher à Pierre Maudet en passant par Nathalie Fontanet a exorcisé le spectre de la dette, brisé le tabou de l'indépendance de la Banque Nationale et défend désormais des politiques économiques au moins rooseveltiennes. D'ailleurs, le nouveau président des Etats-Unis, qui n'a rien d'un gauchiste, s'est mis dans les pas de Bernie Sanders et d'Elizabeth Warren pour proposer un plan de relance financé par le déficit budgétaire, la planche à billet et la dette.


On assiste donc à une véritable transfiguration. Au point qu'il faille  désormais compter au nombre des symptômes du coronavirus, outre la fièvre, la migraine, les courbatures et la perte de l'odorat et du goût, la perte du sens de l'orientation politique. La situation, il est vrai, l'explique et le justifie : risque d’une vague de faillites, besoin des lieux et commerces contraints à la fermeture d’une aide financière immédiate, simple et suffisante, et face à cela :  un Conseil fédéral harpagonesque en matière d’aide d’urgence, une Banque nationale rétive à faire quelque usage utile de son bénéfice,  la propension des autorités fédérales à faire reposer une part disproportionnée de la charge financière de l’aide d’urgence sur les cantons et les villes... La Pentecôte keynésienne a des limites et ses langues de feu leur faiblesse : on est sans doute plus près d'une prise de conscience des exigences de la réalité de la part des hérauts du libéralisme économique que de leur conversion à la social-démocratie. On s'en contentera. Pour le moment.

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