Genève : Référendum de la honte contre l'aide d'urgence aux plus démunis

 


Retour au XIXe siècle ?

D'entre les enjeux de la votation du 7 mars, il en est un, cantonal genevois, qu'on devrait prendre garde à ne pas laisser être voilé par ce qui tient  lieu de débat autour de la burqa, du niqab et du passe-montagne : la création d'un fonds de 15 millions de francs pour venir en aide aux plus démunis, mis par la pandémie encore plus à mal qu'il ne le sont d'ordinaire. La création de ce fonds est contestée par un référendum lancé par la droite de la droite (l'UDC et le MCG), pour la seule raison que l'aide qu'il financerait ne serait pas discriminatoire à l'encontre des personnes sans statut légal. Cette aide irait prioritairement aux salariés et salariées,indépendants et indépendantes, étudiants et étudiantes exerçant ponctuellement des activités rémunérées, travailleuses et travailleurs du sexe, artistes indépendants, toutes et tous privés d'accès aux soutiens financiers fédéraux, cantonaux et municipaux ou ne recevant de tels soutiens qu'au terme d'un délai trop long pour leur permettre de ne pas sombrer tout à fait dans la pauvreté.  Pourquoi fallait-il une loi ? Parce que le droit ordinaire ne prévoit aucune aide publique pour celles et ceux qui n'ont pas d accès aux prestations de l'Hospice Général. Et les renvoie donc à la charité privée. Comme au XIXe siècle. On dira évidemment OUI à une loi du XXIe siècle et à la plus élémentaire des solidarités avec les premières victimes de la crise, qui étaient déjà les plus démunies avant et le sont plus encore depuis.

2020 a été une "année noire" pour l'aide sociale, 2021 sera pire et 2022 encore pire que 2021

La deuxième vague de la pandémie avait déjà accru le nombre de personne ayant recours aux distributions alimentaires et aux aides d'urgence (par exemple des indépendants et des travailleurs précaires ne touchant pas, ou plus, d'allocations pour perte de gain). A Genève, deux points de distribution supplémentaires ont été ouverts. Dans les épiceries Caritas, pour le seul mois d'octobre, les sommes dépensées pour des produits de première nécessité vendus à bas prix ont augmenté de 14 % sur l'ensemble de la Suisse. Selon une étude de l'Université de Genève, 70 % des personnes qui faisaient la queue au printemps pour recevoir des sacs d'aide alimentaire n'avaient pas recouru aux associations et services publics d'aide sociale, car elles ignoraient leur existence. Un quart des 220 personnes interrogées avaient renoncé à des soins médicaux faite de revenus, 61 % ont réduit leur alimentation et 90 % sa qualité et sa diversité. Dès le 1er octobre, l'aide alimentaire d'urgence (la distribution de sacs de nourriture) sera concentrée sur trois sites, dont deux en Ville (le troisième à Carouge), au lieu des huit sites qui avaient pris, hors de la Ville, la suite de la distribution centralisée aux Vernets. Les communes expliquent qu'elles n'ont plus les ressources pour continuer. Avant la crise, 3500 personnes recevaient chaque semaine un sac de nourriture. Mi-décembre, elles étaient 7700.

Un bénéficiaire sur deux de l'aide sociale est Suisse, une personne sur trois vivant en Suisse dans la précarité est un enfant, la majorité des bénéficiaires de l'aide sociale la reçoivent pendant moins de deux ans. Lorsque l'aide sociale est attaquée au prétexte d'"abus", les premières victimes de ces attaques sont les plus faibles. Thierry Apothéloz rappelle que la Constitution fédérale "exige qu'on protège les plus vulnérables. Aujourd'hui, on fait à peu près tout pour les rendre responsables de leur situation". Et pour les dissuader de recourir à l'aide sociale, alors que "si nous n'agissons pas quand un individu connaît des difficultés, sa situation s'aggrave. Les dettes ou les problèmes de santé s'accumulent" (Thierry Apothéloz dixit). Et la précarisation accrue de cette personne finit par coûter beaucoup plus cher à "la société" (et à l'Etat, et aux contribuables...) que si on était intervenu assez tôt pour y remédier".

Le fonds proposé par le Grand Conseil, sur proposition du Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz (soutenu par ses collègues), ne financerait qu'une aide ponctuelle. Il ne créée aucune institution nouvelle, aucune administration nouvelle, il répond à une situation d'urgence. Il aurait pu y répondre dans l'urgence, si la majorité du Grand Conseil y avait consenti -elle n'y a pas consenti, on vote le 7 mars sur un projet qui aurait pu être mis en oeuvre il y a six mois. Six mois de perdus. Et l'occasion offerte à la droite de la droite (de la droite) de lancer un référendum explicitement xénophobe. Ne perdons pas plus de temps encore -l'urgence est toujours là, toujours plus manifeste : l'Hospice général vient d'annoncer que si 2020 a été une "année noire" pour l'aide sociale, 2021 devrait être pire encore, et 2022 pire que 2021, avec l'arrivée d'une masse de chômeurs en fin de droits et d'indépendants renvoyée à l'aide sociale. Et une étude des HUG et de l'Université confirme qu'à Genève,  les quartiers "populaires", ceux où le revenu moyen des personnes et des ménages est le plus bas, sont ceux qui ont été les plus frappés par la pandémie, parce que ce sont ceux où le virus se propage le plus facilement et qu'il atteint les personnes les plus fragiles, puisque les plus pauvres, et les moins bien portantes.

Et électoralement les moins intéressantes. La plupart n'ont pas le droit de vote, et la plupart de celles qui l'ont n'en usent pas. L'extrême-droite locale ne prenait donc guère de risques à lancer, puisque la droite traditionnelle l'y avait autorisé, un référendum contre une aide d'urgence dont les bénéficiaires potentiels lui sont aussi étrangers que les principes qui la justifient : la solidarité, l'urgence sociale. 

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