Scènes de petite chasse aux sans-papiers

Odieux et minable

On n'est toujours pas sorti de la crise sanitaire (on ne sait même pas si on est toujours dans la deuxième vague de la pandémie ou si on est déjà dans la troisième), la crise sociale, elle, s'approfondit  et s'aggrave, le nombre de celles et ceux qui doivent avoir recours à des distributions d'aide alimentaire augmente... mais dormez bien, braves gens de Genève : L'Etat régalien est là. Pour aider la population la plus précarisée ? Non : pour faire vérifier par les gardes-frontières dans les transports publics si elle a un permis de séjour, de résidence, d'établissement. Un papier. Et si papier il n'y a pas, il peut y avoir interdiction d'entrée sur le territoire. Et dénonciation au Secrétariat d'Etat aux migrations. Aux sans-papiers qui devraient se rendre à des distributions alimentaires trop près de la frontière, le message est clair même si on n'est pas dans la rafle du Vel d'Hiv mais dans la stupide mécanique du contrôle des saintes frontières: n'allez pas chercher votre sac de nourriture, restez cachés, serrez-vous la ceinture. Odieux ? oui. Minable ? oui. Et cela, à Genève. Qui avait réussi à permettre à près de 3000 sans-papiers de trouver une existence légale,  dans une opération de régularisation collective unique en Suisse : Papyrus.

"Je me demande si je peux encore sortir de chez moi"

Samedi, comme toutes les semaines, les "Colis du Coeur" procédaient à Genève à une distribution de nourriture sur le site de Caran d'Ache, à Thônex, près de la frontière française. Au même moment, des gardes-frontières procédaient à des contrôles d'identité à proximité. Et la fondatrice de "Caravane sans frontières" avertissait les personnes sans titre de séjour : ne vous rendez pas sur le site de Caran d'Ache, vous risquez d'être contrôlés. Le lendemain, l'ensemble des associations de défense des sans-papiers alertaient les autorités cantonales (qui n'y sont pour rien) : les contrôles opérés par les garde-frontières s'intensifient dans les transports, aux arrêts de bus et de trams, dans les gares, des personnes sans titre de séjour sont interpellées, amenées au poste, interrogées, on leur notifie une interdiction d'entrée en Suisse et on transmet leur dossier au Secrétariat d'Etat aux migrations. Conséquence possible : le renvoi de la personne au-delà de nos frontières sacrées.

Le canton a accordé il y a moins de deux mois un soutien de 12 millions de francs aux associations d'aide aux plus précaires de ces habitants. Et d'entre eux, il y a les sans-papiers. Elles et ils sont là, encore au moins 12000. Et parce qu'ils sont là, ils disposent, là, des droits élémentaires reconnus à toutes personnes humaine, qu'elle ait ou non des papiers en règle : se nourrir, se vêtir, se soigner, sortir de chez elles. C'est ce droit que la poursuite imbécile des opérations de vérification de la légalité du séjour des plus pauvres dans la ville des plus riches est scandaleuse -et peu importe le nombre de celles et ceux qui en sont l'objet, et de celles et ceux qui accomplissent cette basse oeuvre  (l'administration fédérale des douanes a cependant nié mener quelque action "de contrôle ciblant les sans papiers ou plus largement les personnes séjournant illégalement sur le territoire genevois". Bien sûr : elle ne cible que les Suisses et les détenteurs de permis d'établissement...

"Je me demande si je peux encore sortir de chez moi" soupire une jeune mère de famille sans papiers. Et si c'était précisément le but recherché, qu'elle et ses semblables ne sortent plus de chez elles et eux, qu'elles et ils restent invisibles ? Comme ils l'ont été pendant des années, jusqu'à ce que l'opération "Papyrus" ait rendu des milliers d'entre elles et eux visibles, à la grande colère de la droite de la droite ? "Nous sommes dans une incohérence totale", dénonce le directeur du Centre Social Protestant : Genève (le canton, la Ville, les communes) fait ce qu'elle peut pour soutenir les plus précaires et ne pas exclure les sans-papiers de ce soutien, pendant que la Suisse renforce les contrôles de cette même population, enpleine crise sanitaire et sociale. Et les associations du Collectif de soutien aux sans-papier, d'en appeler au Conseil d'Etat, "en cohérence avec son positionnement humaniste de ces quinze dernières années, à intervenir auprès des autorités responsables". Mais qui sont les "autorités responsables" ? Les autorités fédérales, auxquelles en appelle également le Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz et la Ville de Genève, dans une lettre adressée au président de la Confédération. Et la Ville, très engagée sur le terrain dans l'aide "aux personnes les plus lourdement touchées par la crise",  d'assurer qu'elle "poursuivra son engagement en faveur de la dignité humaine et de la solidarité, dans l'esprit de la tradition genevoise et des grandes institutions qu'elle accueille".  C'est précisément ce qu'on attend de la Ville, et on lui sait gré de s'y engager.

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