Qui va-t-on élire à Genève le 28 mars ?
Les habits neufs du président Maudet
Dans la "Julie" de
samedi, son ancien rédac'chef, Pierre Ruetschi titre sa
chronique : "A Genève, la politique peut rendre fou"...
Peut-être, en effet... et quand elle ne rend pas fou (ou
folle, soyons inclusifs.ves), elle peut atout de même
rendre idiot (ou idiote...), ce qui ne vaut guère mieux.
D'où, sinon, nous tomberait ou nous sourdrait ce besoin de
chef, cette fascination de l'homme fort droit dans ses bottes,
que trimballent le quarteron d'officiers en retraite et le
chœur de groupies qui s'épanchent dans les media et les
réseaux sociaux pour chanter les mérites de Pierre Maudet (qui
se compare lui-même à un char d'assaut) en convoquant, qui
Winkelried, qui Bonaparte au Pont d'Arcole, qui De Gaulle le
18 juin 1940 à Londres (on leur saura gré de nous avoir tout
de même évité Achille, Hector, Attila, Gengis Khan, Guderian
et Joukov, et préféré le Pont d'Arcole à celui de la
Berezina), qui le capitaine dont on voit la grandeur dans la
tempête (juste avant le naufrage) ? Et on ne vous parle même pas de la réintroduction
par les maudétistes du délit de blasphème : s'en prendre à
leur candidat équivaudrait à s'en prendre au Prophète...
Mais qui diable élit-on dans deux semaines et pour deux ans ?
Un sauveur, un Grand Timonier ? non : tout simplement, une Conseillère d'Etat ou un Conseiller d'Etat..
quelqu'un qui ne se prenne pas pour le centre du monde, ne
considère pas qu'abaisser les autres soit un moyen de se
grandir et refuse qu'en 2021, dans une démocratie, un Etat
puisse encore fonctionner sur le mode du garde-à-vous, de
l'injonction "alignez-couvert" et de l'ordre de marche. Les
habits neufs du président Maudet ressemblent tout de même trop
à d'anciens uniformes...
A Toi, la gloireuh, ôô
réésuscité...
Il reste donc deux candidates et deux candidats
au deuxième tour de l'élection partielle au Conseil d'Etat
genevois. Avec une candidate verte soutenue par le PS et le
Parti du Travail, Fabienne Fischer, et derrière elle, à bonne
distance, un candidat, Pierre Maudet, sortis du premier tour
avec une large avance sur leurs concurrents, dont il ne reste
qu'Yves Nidegger, de l'UDC. A ces trois s'est ajoutée in
extremis une candidate du PDC, qui au premier tour soutenait le
candidat du PLR, mais profite de son retrait pour faire au moins
un tour de piste en espérant rallier à la présidente du parti
Delphine Bachmann toutes celles et tous ceux qui à droite ne
veulent ou ne peuvent se résoudre ni à voter pour Fabienne
Fischer ou Yves Nidegger, ni à voter pour Pierre Maudet,
"disqualifié pour exercer une fonction dans un collège
gouvernemental".
En réalité, ni Fabienne Fischer ni Pierre Maudet
n'ont fait le plein de leur voix au premier tour, marqué par une
participation bien plus forte que d'habitude à Genève (dix
points de plus que lors de l'élection générale de 2018) : ainsi,
les 30 % de Fabienne Fischer sont en deçà des 34% de suffrages
cumulés du PS et des Verts de 2019 (élections fédérales), même
si cet étiage sera largement atteint si on reporte sur la
candidate verte les suffrages obtenus par le candidat du Parti
du Travail, qui appelle à voter pour elle, et une partie des
suffrage obtenu par le candidat des Verts libéraux (les Jeunes
Verts libéraux appelant à voter pour Fabienne Fischer). Fabienne
Fischer a donc raison de considérer que dans une élection avec
huit candidats pour un seul siège, réaliser 30 % des voix et
devancer le suivant de plus de sept points, peut être considérer
comme un succès (elle atteint le score d'Antonio Hodgers au
premier tour de l'élection de 2018, alors qu'il était Conseiller
d'Etat sortant). En face, Maudet peut aussi revendiquer un
succès, même s'il fait moins de la moitié de son score de 2018.
Et s'il arrive arrive
nettement en tête de la droite, ayant fait la meilleure
campagne électorale, c'est que la droite, sauf l'UDC (dont le
candidat double le score de son parti), s'est effondrée sur
elle-même. Maudet en capte le tiers de l'électorat, en puisant
largement dans celui du PLR et en caracolant dans les parcs à
bourges de la rive gauche On peut cependant considérer
les scores de Fabienne Fischer et de Pierre Maudet comme des
socles électoraux, sur lesquels il va falloir additionner un
électorat nouveau pour pouvoir obtenir la majorité relative
nécessaire à l'élection -exercice plus aisé pour la candidate de
gauche que pour le principal candidat de droite, puisqu'il a une
concurrente et un concurrent dans son propre camp.
Cette élection, le PLR l'a déjà perdue, en
perdant la moitié de son électorat et en tombant au-dessous de
ce que pesait le seul parti libéral d'avant la fusion
: quel que soit le résultat du 28 mars, il aura perdu son
deuxième siège et la seule question à laquelle il attend que
l'électorat donne une réponse qu'il refuse de suggérer lui-même,
faute d'être capable de choisir, est de savoir à qui passera son
siège perdu ? à la gauche, au PDC, à l'UDC ou à l'exclu ? En
somme, une charmante querelle de famille : à qui ira l'héritage
? à la famille adversaire, au fils maudit, à la cousine
ambitieuse ou au beau-frère trublion ? En face, ni la gauche, ni
l'UDC, ni le PDC n'ont quoi que ce soit à perdre : si Fabienne
Fischer gagne, la gauche prend la majorité des sièges au Conseil
d'Etat et les Verts en gagnent un, et si elle ne gagne pas,
c'est le statu quo. Même situation pour Delphine Bachmann : si
elle gagne le siège reste à droite, le PDC le prend au PLR, mais
si elle perd le PDC garde son siège actuel. et pour Yves
Nidegger : s'il gagne, le siège reste à droite, l'UDC le prend
au PLR et s'il perd il ne perd rien puisque l'UDC ne dispose
d'aucun siège au Conseil d'Etat genevois.. En vérité, le seul
pour qui l'enjeu de ce second tour est considérable, parce que
c'est son siège qui est en jeu et qu'il ne l'a ni encore perdu,
ni encore gardé, c'est Maudet. Et encore : certes, s'il perd, il
perd son siège. Mais il ne le perd que pour deux ans, avec au
bout une élection générale, avec sept sièges à pourvoir, et pour
lui un socle électoral (celui du premier tour de cette
partielle) qui lui permet de récupérer le sien en faisant pour
cela campagne pendant deux ans, en se posant en candidat
antisystème comme il le fait depuis qu'il a été à l'insu de son
plein gré sorti dudit système, alors que c'est son seul biotope
depuis vingt ans. Bref, s'il n'est pas forcément bien parti pour
être réélu dans deux semaines, il l'est pour dans deux ans -et
les vingt ans suivants ?. Des socialistes
tiquent : le slogan de Maudet, "libertés et justice
sociale" sonne social-démocrate. Il aurait sans doute
préféré prendre pour slogan la devise de la Légion
étrangère, "Honneur et Fidélité", mais un mot aurait fait
sourciller -Maudet étant sans conteste fidèle à lui-même,
il aurait mérité de continuer à semer le trouble, piéger
le PLR et éclater la droite et les syndicats patronaux...
Et n'y voyez aucun
sous-entendu, juste, peut-être, de la jalousie : en deux
ans, ce type a plus fait pour décrédibiliser les
institutions politiques bourgeoise (jusqu'à susciter un
débat sur les critères de inéligibilité, et sur la
révocation d'une autorité élue) que les anars en un
siècle... Que du bonheur,
on vous dit.
Ces bourgeonnements politiques sont-ils signes de saison ? le printemps est officiellement arrivé à Genève vendredi, avec la première feuille du marronnier de la Treille... Et nous entrons dans le moment pascal ; tout est, tous sont en place : Judas, Ponce-Pilate, le procès, la passion, la résurrection... et le choeur des fidèles de Maudet entonnant : A Toi, la gloireuh, ôô réésuscité...
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