Réponses à l'urgence sociale et culturelle : La Ville (et les villes) à l'oeuvre

 Pour répondre, à son niveau, à la situation d'urgence sociale et culturelle dans laquelle se trouvent artistes et activistes culturels, le Conseil municipal de Genève a accepté la proposition que lui faisait le Conseil administratif, de trois mesures concrètes (auxquelles s'ajoutent l'étude de plusieurs "pistes de travail", notamment s'agissant du statut  social des artistes). Des mesures qui s'ajoutent à celles que la Ville avait déjà prises et qu'ont prises le canton et la Confédération, les complètent -mais aussi suggèrent à ces deux niveaux institutionnels "supérieurs", s'agissant des soutiens à apporter au milieu culturel, d'aller un peu loin dans l'inventivité que ce dont ils se sont contentés jusqu'à présent. Les mesures proposées par le Département de la Culture et acceptées par le Conseil municipal, assorties du financement nécessaires (quatre millions), consistent  d'abord en la réalisation par une septantaine d'artistes d'oeuvres sur des emplacements d'affichage en Ville : ce fut fait en décembre dernier. Ensuite, des résidences musicales rémunérées sont proposées à des groupes, en partenariat avec l'Usine, la Cave12, l'Alhambra et l'AMR. Ces résidences devraient aboutir à des concerts. Enfin, des résidences d'artiste, elles aussi rémunérées, sont proposées à des artistes en partenariat avec les musées publics et les bibliothèques de la Ville.  (la "Tribune de Genève" d'hier a consacré une pleine page à la première concrétisation de cette expérience, où les artistes sont à la fois en résidence et devant le public des musées (le Museum, le MEG, l'Ariana, le Jardin Botanique, le Musée d'histoire des sciences) et des bibliothèques).

Une politique culturelle cantonale, cette Arlésienne du débat genevois

Début novembre, le canton et la Ville de Genève, l'Association des communes et la Loterie Romande avaient signé une convention déterminant leur participation au dispositif d'aide Covid-culture. Le canton prend en charge la moitié du montant des indemnisations des entreprises et acteurs qu'il subventionne, sont subventionnés par d'autres communes que la Ville ou ne reçoivent pas de subventions publiques, la Ville prend en charge la moitié du montant des indemnisations des entreprises et acteurs qu'elle subventionne. En outre, le canton s'engage à soutenir des domaines non couverts par l'ordonnance fédérale, comme les labels musicaux, les magasins de disques, les galeries d'art contemporain, les librairies, les maisons d'édition et les écoles privées du domaine culturel. Et la Ville a doté de quatre millions supplémentaires son fonds d'art contemporain, le FMAC, pour qu'il acquière des oeuvres d'artistes genevois.

La culture n'a pas fait le poids face au commerce et au tourisme : on a fermé les théâtres, les cinémas, les salles de concert, pas les tire-fesses, ni les supermarchés. Comme si la culture n'était qu'un passe-temps, un superflu. Or, parce qu'elle est tout ce qui dit les rapports que les humains entretient entre eux, elle est constitutive de la société, au moins autant qu'elle est constituée par elle. Et elle aussi un secteur économique important  : une entreprise sur dix en Suisse est culturelle, le secteur totalise plus de 230'000 emplois et d'indépendants et produit une valeur ajoutée  de plus de 15 milliards (chiffre de 2018), soit plus de 2 % du PIB.  Les grandes institutions ont pu limiter les dégâts : leur taille même, la masse financière qu'elles représentent , le rôle qu'elles jouent dans le maillage culturel d'un territoire, garantit leur pérennité. La Ville a en outre assuré le maintien de 61 millions de subventions régulières accordées aux lieux culturels, lors même qu'ils étaient condamnés à être désertés et inactifs. Mais les artistes indépendants, en particulier dans les arts visuels et musicaux, se sont retrouvés plongés dans des situations d'une précarité absolue, lorsqu'ils n'avaient pas, à côté de leur travail créatif ou en lien avec lui, une activité professionnelle salariée (d'enseignement, par exemple).

Les mesures prises par la Ville, comme celles prises par le canton et la Confédération, sont des mesures d'urgence, des palliatifs. Elles ne font pas un plan de relance de la création et de la représentation culturelles. Et moins encore une politique culturelle cantonale, cette Arlésienne du débat genevois. Il s'agit d'abord de concrétiser l'initiative populaire pour une politique culturelle concertée entre le canton, la Vile et les autres communes : si on ne tient pas compte des crédits votés pour répondre à l'urgence covidienne, en 2020, le budget culturel de l'Etat plafonnait misérablement à 34,6 millions de francs, il s'est péniblement élevé à 45,8 millions en 2021... cinq fois moins que celui de la seule Ville de Genève (262 millions en 2020, 261 en 2021). Cet écart est intenable dans la durée, et totalement contraire à l'esprit comme à la lettre de l'initiative. Mais sa résorption n'est qu'une condition préalable, et d'autres mesures, pérennes, doivent être prises : l'instauration d'un "pourcent culturel" du budget cantonal (la Ville consacre plus du quart du sien à la culture, et si le canton n'y consacrait qu'un seul pourcent, son budget culturel doublerait...). En outre, la pandémie a posé, cruellement, la question du statut, ou plutôt de l'absence de statut, des artistes indépendants. Enfin, le vieux projet socialiste de création d'un fonds intercommunal de soutien aux grandes institutions (refusé par la droite il y a des lustres) mériterait d'être redéposé. Et doublé, en Ville,  d'un fonds de soutien aux musiques de création et aux musiciens indépendants,  alimenté régulièrement par un apport financier déterminé en proportion des subventions municipales accordées aux grandes institutions (GTG, OSR, Nouvelle Comédie) et de la billetterie des lieux culturels municipaux en gestion directe (Victoria-Hall, musées).

Musiques politiques d'avenir ? Sans doute -mais qu'on espère d'un avenir pas trop lointain. En attendant quoi, comme le réclame la Conférence des villes en matière culturelle,  c'est bien de la "reprise durable de l'activité culturelle" dont il faut poser l'exigence. Et là aussi, les communes sont en première ligne (elles contribuent pour plus de la moitié à l'engagement financier public en faveur de la culture), et les villes en avant-garde de cette première ligne -mais elles en sont encore à demander (poliment) d'être davantage consultées avant que les décisions politiques soient prises par la Confédération et les cantons, plutôt que sommées de les appliquer après. En comptant chez elles les cinémas, les théâtres, les opéras, les salles de concert aux portes closes et aux spectateurs condamnés au streaming et au vidéospectacle, comme de vulgaires conseillers municipaux réduits à des séances virtuelles.

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