Deux fois OUI pour en finir avec les pesticides dans l'agriculture suisse

Changer d'air, d'eau, de terre...

Le 13 juin, deux initiatives populaires "anti-pesticides" seront soumises au vote du peuple et des cantons  : la première propose l'interdiction dans les dix ans des pesticides de synthèse; la seconde, "Pour une eau potable propre et une alimentation saine"de ne plus accorder dans un délai de huit ans de paiements directs qu'aux exploitations agricoles n'usant pas de tels pesticides, ni, pour l'élevage, d'antibiotiques. Ces deux textes sont dans l'air (pur) du temps : en 2017, selon un sondage, les deux tiers des Suisses.ses se prononçaient pour un usage plus rare des pesticides dans l'agriculture, la moitié étaient favorables à ce que les subventions publiques à l'agriculture soient réservés à sa part biologique (10 % de la production indigène en 2019) et les trois quarts n'admettaient pas la présence de pesticides dans l'eau potable. Les organisations agricoles et la droite vont faire campagne, avec le Conseil fédéral contre ces initiatives, qui, selon elles et lui, vont "mettre en péril toute la production agricole non biologique". En face (c'est-à-dire de notre côté), on notamment trouve Uniterre, Bio suisse (regroupement des producteurs bios), l'Association des petits paysans, Pro Natura, Aqua Viva et les Médecins pour l'environnement, qui soutiennent généralement (comme nous, ici) les deux initiatives, certaines organisations ne soutenant que la première (celle qui interdit les pesticides).

"Une alimentation sans poisons n'est pas un demande extrême, mais un droit fondamental"

En tenant sa première conférence de presse de campagne, le comité de soutien aux deux initiatives anti-pesticides a résumé en une phrase la motivation des deux textes : "Une alimentation sans poisons n'est pas un demande extrême, mais un droit fondamental". Or les pesticides sont un poison, et on en trouve partout, et pas seulement dans les sols, les légumes, les fruits, les fleurs, l'eau (on en trouve dans la moitié des captages du plateau suisse à des taux dépassant la limite posée par l'Europe) : on en trouve dans notre sang, notre urine, nos cheveux. On en boit, on en mange. On sait qu'ils sont porteurs de dangers considérables pour la santé des humains : malformations génitales des garçons, puberté précoce des filles, troubles du développement, maladies neurodégénérarives, cancers, dont 340 médecins, professeurs et soignants adjurent le Conseil fédéral d'en protéger la population : la seconde initiative, celle qui propose de cesser de subventionner l'agriculture non biologique (mais, et c'est une lacune, de laisser libre l'importation de fourrages et de denrées produites avec usage de pesticides) dénonce : les paiements directs aux paysans usant de pesticides ne sont qu'un subventionnement à la contamination de l'eau potable.  L'agriculture suisse déverse en effet chaque année 2000 tonnes de pesticides dans l'environnement... qui s'y ajoutent dans le même temps à 110'000 tonnes d'excédents d'azote et 6000 tonnes d'excédents de phosphore. Sans compter les résidus de médicaments, d'hormones, de produits industriels et ménagers...

Avec la votation suisse du 13 juin, c'est la première fois que "dans un pays occidental, on demande à la population de se prononcer sur (une question, l'usage des pesticides de synthèse), qui est technique mais surtout politique : veut-on maintenir l'agriculture dans le système actuel, avec tous les dégâts qu'il peut engendrer sur l'environnement et la santé ? Ou veut-on changer pour donner plus de valeur à ce qu'on mange ?", note le journaliste scientifique Stéphane Foucart. Pour qui les pesticides sont responsables d'une catastrophe écologique : l'effondrement de la population mondiale des insectes, un effondrement qui se produit "à une vitesse encore plus rapide que ce qu'on pensait".

Les deux initiatives soumises au peuple et aux cantons posent, au-delà de la question précise de l'usage des pesticides, la question plus générale du type de production agricole que l'on soutient dans ce pays (et bien d'autres) quand on encourage le développement de la production et l'extension des domaines. A cette question, elles ne donnent qu'une réponse partielle, en ciblant l'agriculture et en oubliant les consommateurs, mais cette réponse -qui devra, si l'une ou l'autre initiative, ou les deux, étaient acceptées, être traduite en un texte exécutoire  (une loi d'application ou une modification d'une loi existante)- peut être complétée : qu'elle soit lacunaire ne la rend ni absurde, ni illégitime. L'interdiction des pesticides de synthèse fera baisser la production agricole indigène non bio, et risque d'accroître les importations ? des mesures d'accompagnement de cette interdiction devront être prises, pour que les prix de la production bio indigène la rende accessible à tous, et qu'elle atteigne un volume permettant de maintenir la part de la production indigène dans la consommation intérieure.

Le vote du 13 juin va peut être montrer qu'on peut, dir Stéphane Foucart, "faire autrement que ce que les producteurs de pesticides posent comme étant sans alternative, ce qu'acceptent les lobbies agricoles et la grande distribution". Et meilleur sera le résultat de chacune des deux initiatives (on vous recommande, avec toute la modestie qui convient, de les soutenir les deux, quelque critique que l'on puisse faire à l'une des deux), plus forte sera la pression pour un changement de politique agricole, et pour des mesures de soutien aux agriculteurs qui en ont besoin pour qu'ils soient eux-mêmes les moteurs de ce changement, plutôt qu'en être les victimes.


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