Fonds de tiroir

 On a été bien contents de l'élection de Fabienne Fischer. Et de la défaite, non pas tant de Pierre Maudet que de son fan club. Mais on  n'en fera pas un changement d'ère. On a un gouvernement cantonal à majorité de gauche, d'accord, mais assurée seulement pour deux ans. Et sans majorité parlementaire. Et avec une majorité populaire qui n'est canto-nalement de gauche que lors des vo-tations, pas des élections. Du coup, les hurlements de douleur prématu-rée de la droite face à l'élection d'une candidate verte présentée carrément comme la réincarnation de Rosa Luxemburg sonnent fran-chement tragicomique. D'autant que sitôt élue, la nouvelle conseillère d'Etat verte s'est donnée pour programme de «stabiliser les insti-tutions, de leur redonner une légitimité», pas de faire la révo-lution. Son désormais collègue (vert aussi) Antonio Hodgers renchérit : «il faut se réconcilier, (...) privilégier l'apaisement», car «le Conseil d'Etat aspire à un retour à la normalité». Il faut donc «rester modeste sur l'impact de ce basculement de majorité». Bon, ben on va ranger les kalachs, hein... Et puis, l'évacuation de la ZAD du Mormont, mardi, a bien été ordonnée par une Conseillère d'Etat de gauche, non ? Comme soupire l'édito du «Courrier» du lendemain, «ça marque de manière frappante -et un brin démora-lisante- la marge de manœuvre réduite des élu-es prog-ressistes». Qu'ils soient minoritaires ou majoritaires, d'ailleurs.

Selon une étude de la Haute Ecole des Sciences appliquées de Zurich, portant sur la manière dont 8300 jeunes de 17 et 18 ans de dix cantons jugeaient la violence envers les femmes, un sur treize approuvait deux affirmations : «quand une femme trompe son conjoint, il a le droit de la frapper» et «l'homme est le chef de la famille et peut au besoin faire usage de la violence pour s'imposer». Les af-firmations «quand un homme trompe sa conjointe, elle a le droit de le frapper» et «un homme qui fait usage de la violence pour s'imposer montre qu'il est incapable de s'imposer autrement» ne semblent pas avoir été posées. C'est dommage. Les chercheurs ont constaté un lien «significatif» entre la religion des sondés et leurs réponses : si la proportion moyenne des justifications de la violence des hommes contre les femmes dans le cadre du couple est d'un treizième de tous les jeunes interrogés, elle monte à un sur cinq chez les jeunes musulmans et un sur quatorze chez les jeunes catholiques, alors qu'elle n'est plus que de un sur vingt chez les jeunes pro-testants et incroyants. On ne sait pas si l'analyse des réponses en fonction de la classe sociale, du niveau d'éduca-tion, du niveau de revenu, de la région, a été faite. On sait seulement que pour civiliser les com-portements masculins, y'a encore du boulot. Plus chez les uns que les autres, certes...

C'est un enseignement tout à fait utile qu'on peut tirer de l'un des jugements du «procès Maudet», celui prononcé contre l'ancien chef de la police du commerce de Genève, Raoul Schrumpf, reconnu coupable d'abus d'autorité pour avoir favorisé l'octroi d'une autorisation d'ouverture à un bar, l'Escobat, tenu par  des copains de Maudet (ceux qui avaient organisé son désormais fameux voyage à Abu Dhabi), mais exempté de peine parce que cette faveur lui avait été demandée par le chef de cabinet de Maudet, autrement dit d'un supérieur (ou perçu comme tel). Autrement dit, il a commis une faute parce qu'il a obéi à un ordre illicite. Conclusion : un employé doit désobéir à son supérieur si ce que lui demande ce supérieur est contraire à la loi (ce qui suppose que l'employé sache, ou du moins se doute, que c'est contraire à la loi). Et c'est même le Premier procureur Stéphane Grodecki, qui l'a rappelé : «on ne doit jamais exécuter un ordre illégal». En fait, on ne devrait jamais exécuter un ordre pour la seule raison que c'est un ordre, mais seulement quand il nous convient. Mais ça, évidemment, un procureur ne peut pas le dire. Nous, si.

«Les résultats de l'élection complé-mentaire du 7 mars témoignent d'une crise sans précédent à Genève. Tous les partis gouvernementaux, de gauche comme de droite, n'ont recueilli que 45 % des suffrages en tout», s'exclame, dans la «Tribune de Genève» du 9 mars, le député d'«Ensemble à Gauche» Jean Batou, l'un des pères fondateurs du nouveau groupuscule local, «Résistons» (une scission de SolidaritéS, pour celles et ceux qui n'auraient pas suivi le feuilleton de l'hiver à la gauche de la gauche). Conclusion de Batou :  ces partis étant donc minoritaires,  «en bonne logi-que, (les représentants de ces partis au Conseil d'Etat) devraient démis-sionner en bloc». Ouais, mais au deuxième tour de ladite élection, les trois partis gouvernementaux qui présentaient chacun une candidate (Fabienne Fischer pour les Verts et les socialistes, Delphine Bachmann pour le PDC) ont recueilli, à trois, 55 % des suffrages. Ils sont donc majoritaires. Et la «crise politique sans précédent» que Batou a cru voir à Genève s'est dissoute dans l'autosatisfaction géné-rale trois semaines plus tard quand Maudet a été battu. Peu importe, d'ailleurs : faire de la représentativité électorale d'un gouvernement, c'est quand même choisir un étrange critère politique pour un groupe qui se veut fondateur de la «gauche populaire», que nos nouveau narodnikis somment (dans un papier publié dans un quotidien qu'il faudrait avoir fumé la moquette pour confondre avec l'«Iskra» ou avec «Vperiod») d'«entrer en résistance». Et résistance contre qui, et quoi ? le reste de la gauche de la gauche ? Sans doute, puisque Batou s'en prend à «Ensemble à gauche, égaré par la myopie de l'une de ses compo-santes» (SolidaritéS, dont le même Batou fut déjà l'un des fondateurs...),  coupable d'avoir «décidé de tourner le dos à cette bataille importante»... à laquelle toutefois une autre composante fondatrice d'Ensemble à Gauche présentait un candidat : le Parti du Travail... Bon, l'appel est lancé : il faut   «refuser les logiques identitaires de celles et ceux qui cultivent l'entre-soi des petites chapelles de la gauche». C'est-à-dire toutes les autres composantes d'«Ensemble à Gauche». Y'a pas à dire, elle est bien partie, cette construction d'un grand «parti populaire de la gauche combative». 

Alors comme ça, sans qu'on le sache, y'aurait pas eu que Pierre Maudet et Guillaume Barazzone  à s'être fait inviter à Abu Dhabi, y'aurait aussi eu Ueli Maurer ? Ben ouais, en 2010, quand il était ministre de la Défense, le Conseiller fédéral a fait le même voyage que le Conseiller d'Etat. Et a comme lui assisté à une course de vroum vroum (champion-nats du monde de Formule 1). Mais, précise la Confédération, c'était une visite officielle, et c'est la Confédé-ration qui a payé. Autrement dit, les contribuables. Et Maurer n'était pas accompagné de sa famille, mais d'une délégation économique. Paraît que ça change tout. Mouais, on fera semblant d'y croire... Surtout que Maurer n'a pas été élu, puis viré, par le peuple. Lui. A voya- ger sans risque, on siège sans gloire.


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