Nos Pâques à nous : la Commune de Paris

Passion, résurrection ?

Dimanche dernier, il y avait 150 ans, jour pour jour, que la Commune de Paris était proclamée. Et dimanche prochain, ce sera la Pâque chrétienne, dans le calendrier grégorien. Trahison, procès, exécution, martyre... Vous parle-t-on alors, ici, de la Passion du Christ ou de celle des Communards ? Des deux, frères et soeurs... Et puisqu'après l'exécution, il y a la résurrection, et après la résurrection l'Ascension, et après l'Ascension la Pentecôte, on s'autorisera à une récupération politique parfaitement blasphématoire (mais nous tenons le droit au blasphème comme un droit fondamental) : la Commune de Paris, c'est nos Pâques à nous. Des Pâques de 72 jours. Sans résurrection ? Allez savoir... En tout cas, pas sa récupération : 498 rues et places et 190 écoles portent en France le nom de Louise Michel, qui avait si grande "hâte de s'échapper du vieux monde" , dont pourtant elle ne put pas même s'échapper en étant déportée en Nouvelle Calédonie, où ce vieux monde détruisait celui. plus vieux encore, de ses nouveaux amis, les Kanaks. Ce vieux monde, c'est toujours le nôtre...

La Commune, si brève qu'elle n'a pas eu le temps de décevoir

La Commune, où le pouvoir est détenu par une Assemblée élue au suffrage universel (masculin), dont elle a redonné le droit aux pauvres (Napoléon III les en avant privé, alors que Louis-Napoléon Bonaparte s'était fait élire en promettant de le sauvegarder), les communardes elles-mêmes ne faisant pas du droit de vote, d'élection et d'éligibilité des femmes une revendication prioritaire), prévoit la révocabilité des élus et la consultation des citoyens avant les décisions de l'Assemblée. Elle se veut le gouvernement "du peuple par le peuple",  elle incarne la "République démocratique et sociale" que l'aile gauche des révolutionnaires de 1848 voulaient promouvoir. Avec des générations d'avance sur la République bourgeoise (la troisième, la quatrième, voire la cinquième, voire la République de Genève...), elle établit l'école laïque, gratuite et obligatoire, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la liberté d'association, proclame des droits sociaux fondamentaux, instaure un moratoire des loyers, restitue gratuitement les objets déposés au Mont-de-Piété, réquisitionne les logements abandonnés par leurs propriétaires en fuite devant l'avance de l'armée prussienne, et remet aux ouvriers les ateliers abandonnés. Elle ouvre l'enseignement professionnel aux filles. Elle soumet les marchés publics à de strictes contraintes sociales.  Elle abolit le système de conscription militaire. Elle remet en marche les administration et les services publics arrêtés par le siège prussien. Elle imagine une "République universelle", cette "république démocratique et sociale" qui, quel que soit le nom qu'on lui donne, est le socle de tous nos programmes depuis 150 ans -et qui fut même le nom du premier parti socialiste de Genève, le "Parti de la République démocratique et sociale... fondé avant que les Communards fuyant la répression n'enrichissent de leur expérience et de leurs convictions les organisations socialistes et ouvrières de toute l'Europe -notamment de la Suisse.

La Commune de Paris, comme après elle la Catalogne libertaire, a, dans le temps de sa présence réelle, si brève qu'elle n'a pas eu celui de décevoir, "dissout l'Etat et le capital"...  Ses intentions, pourtant, elle ne put les concrétiser, ni réaliser son programme, avant d'être noyée dans le sang dans le plus grand massacre parisien depuis la Saint-Barthélémy. Elle n'est donc pas un modèle, mais un exemple, un moment charnière, un laboratoire politique, une source d'inspiration. Et tout cela, elle l'est, résumait Karl Marx, par sa "simple existence en acte" pendant 72 jours, comme premier pouvoir politique à s'être donné pour ambition celle de «changer la vie» -pour reprendre la formule de l'un des rares écrivains à l'avoir soutenue, avant peut-être que son écrasement ne l'écrase lui-même : Rimbaud.

L'Association des Amies et Amis de la Commune (créée en 1882 par des communards de retour d'exil ou du Bagne) et "Faisons vivre la Commune !" ont lancé un appel, signé par une centaine d'artistes, d'universitaires, d'éditeurs et de syndicats pour que la célébration de la Commune soit "un temps fort, tout à la fois du souvenir de cet épisode émancipateur et à l'écho démultiplié dans un siècle et demi de luttes, et dont au XXIe siècle, on continue de se réclamer, du Rojava au Mormont (où il paraît qu'une barricade portait une citation de Louise Michel...). C'est dire, ou redire, l'héritage de ce bref moment dont, observe l'historien Jacques Rougerie, "toutes les insurrections, les insurrection socialistes du XXe siècle, se sont voulues filles".

Quand on vous dit que la célébration de la Commune, c'est nos Pâques à nous... Celles où l'on fait la révolution sans prendre le pouvoir, et où on en meurt. Les églises, politiques ou religieuses, viennent après. Pour mieux trahir ce qu'elles font mines de célébrer.

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