Centre fédéraux d'asile suisses : Sous-traitance de la maltraitance

"Que les requérants d'asile soient traités comme des êtres humains" : Amnesty International ne demande pas la lune en conclusion de son rapport sur les violations des droits humains dans les centre pour réfugié.e.s en Suisse. Le rapport est accablant : il dénonce des pratiques dont les pires "pourraient être assimilés à de la torture" : des coups, des contraintes physiques provoquant l'étouffement (et dans un cas, une crise d'épilepsie), l'utilisation de spray au poivre, l'enfermement dans un container (un requérant y a été victime d'une crise d'hypothermie, et a dû être hospitalisé)... Les requérants victimes de ces pratiques (dont des mineurs non accompagnés)  renoncent le plus souvent à les dénoncer (encore faudrait-il qu'ils sachent à qui les dénoncer...), de peur de faire l'objet d'une décision de renvoi. Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) avait déjà été contraint, par de précédentes révélations sur les pratiques dénoncées par Amnesty, de suspendre quatorze  agents de sécurité sévissant  dans les centres de rétention de requérants d'asile, dont huit dans le centre neuchâtelois de Boudry. Ces agents avaient eux-mêmes rédigé les "rapports d'incidents" sur les faits (chaque année, plus d'un millier d'incidents sont enregistrés dans les quatorze centres fédéraux de rétention de requérants d'asile, où sont affectés 350 agents de sécurité), et alourdi ceux reprochés aux requérants pour justifier les violences exercées contre eux, et être couverts par leur hiérarchie. Le SEM a ouvert des procédures pénales, chargé l'ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer d'enquêter sur des cas d'usage excessif de la force, veut revoir le recrutement et la formation du personnel de sécurité et créer un bureau externe chargé de recueillir les plaintes des requérants. C'est un petit pas dans la bonne direction -mais un pas insuffisant. Il conviendrait d'en faire un autre : renoncer à sous-traiter à des privés la gestion des centre fédéraux de rétention des requérants d'asile -des centres qu'il faudrait d'ailleurs fermer purement et simplement. Et, comme le demande Amnesty, "prendre des mesures pour prévenir les mauvais traitements, éliminer le racisme et protéger les droits des personnes" dans ces centres. Le Secrétariat d'Etat aux migrations répond que "les éventuelles défaillances sont continuellement corrigées" (il vaudrait toutefois mieux les prévenir qu'attendre qu'elles se produisent pour les "corriger"), mais refuse d'être placé sur le même plan que la Biélorussie ou la Libye et nie que "des douleurs ou des souffrances seraient délibérément infligées aux requérants d'asile afin de leur extorquer des informations ou de les punir", ce qui serait effectivement de la torture. Mais ce faisant, et ce niant, il ne répond pas vraiment aux dénonciations de maltraitances... comme s'il admettait qu'il était inévitable qu'elles puissent se produire... et sans doute d'autant plus inévitable que la gestion de ces centres est sous-traitées à des entreprises privées.

Nous sommes bien plus européens que nous feignons de le croire -mais nous le sommes pour le pire de l'Europe

La Confédération sous-traite donc à des entreprises privées la gestion de ses centre d'asile. La multinationale zurichoise ORS en gère ainsi trois, à Vallorbe, Bâle et Chiasso, ainsi que le centre d'hébergement de Perreux, à Neuchâtel. Elle est contrôlée par un fonds d'investissement londonien, qui n'a d'intérêt que dans le profit qu'il peut tirer des centres pour requérants d'asile (et donc la sous-enchère qu'elle pratique pour obtenir des marchés, au détriment de la qualité de ses services). Dès lors, on ne s'étonnera pas que plusieurs associations de défense des droits des requérants dénoncent les pratiques "déplorables" de la multinationale et de ses agents.

Cette sous-traitance à des privés de la rétention des immigrants en Suisse s'ajoute à la sous-traitance par l'Union Européenne de leur stockage aux frontières de l'Europe par des pays candidats à l'adhésion  : la Macédoine, l'Albanie, la Bosnie, la Serbie, le Monténégro paient leur espoir d'adhésion en le faisant payer aux migrants, quitte à ce que l'UE finance elle-même la construction de centres de rétention (ce qu'elle fait également en Azerbaïdjan et en Géorgie). Des accords de réadmission de leurs ressortissants, mais aussi de tout migrant ayant eu le malheur de passer par leur territoire pour tenter de gagner l'UE, ont également été passés avec la Turquie et la Biélorussie. En Afrique, des aides européennes au développement sont conditionnées à la rétention de migrants vers l'Europe. Tout est ainsi fait par l'Union Européenne pour repousser les migrants (alors que ceux internés en Libye ne représenteraient, s'il venaient tous en Europe, que un dixième de pour mille de la population européenne...). Le Pacte européen sur la migration prévoit explicitement leur détention dans des centres aux frontières de l'Europe et hors de la juridiction de l'UE.  Et quand les garde-frontières européens de Frontex n'ont pas réussi à les intercepter en mer et à les repousser,et qu'ils arrivent vivants en Europe, ils y sont aussi détenus dans des camps  : visitant celui de Moria, à Lesbos, le Pape a dit qu'il lui rappelait les camps de concentration : entassement des réfugiés, insalubrité, mauvaise nourriture, manque d'eau, gale, covid et violences. A Pâques, l'année dernières, les Eglises, les ONG et les syndicats lançaient au Conseil fédéral un appel, soutenu par 60'000 personnes, pour qu'il agisse en faveur de l'évacuation de Moria et accueille en Suisse une partie de ses internés : il n'a reçu aucune réponse.

Les centres suisses de rétention des requérants d'asile ne sont certes pas le camp de Moria. Et le camp de Moria n'est pas celui de Dachau. Qui n'était pas celui de Treblinka. Mais la politique suisse d'asile ressemble déjà à celle de l'Union Européenne comme une goutte d'eau croupie à une autre : le bacille de la xénophobie y frétille à son aise, quand ce n'est pas celui du racisme. Nous sommes bien plus européens que nous feignons de le croire -mais nous le sommes pour le pire de l'Union Européenne : sa paranoïa migratoire. 

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